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Le travail, toujours...

travail, IA, emplois, nouvelles compétences, santé psychologique

(Photo- Nice, le jardin Alsace Lorraine)

Pour Freud, le travail n’est pas une thérapie au sens strict, bien sûr (la thérapie étant la psychanalyse elle-même), mais plus qu’un remède, il est l’un des deux piliers de la vie adulte saine : « l’homme normal peut aimer et travailler » (lieben und arbeiten). Il le considérait l’une des principales sources de satisfaction réaliste et un puissant mécanisme de sublimation contre la souffrance et l’agressivité. Le travail est un exutoire, il permet de dériver l’énergie pulsionnelle vers des buts socialement valorisés et non sexuels, ce qui est essentiel pour la vie civilisée et l’équilibre psychique (c’est ce qu’il explique dans Malaise dans la culture, 1930). Par le travail, nous nous confrontons au principe de réalité, en renonçant à la gratification immédiate du principe de plaisir (lié au Ca) et en mobilisant le Moi (la partie organisée et rationnelle) pour atteindre des objectifs concrets. Et puisque la souffrance a trois sources - la nature, la fragilité de notre corps, les relations avec les autres -, le travail nous permet de détourner l’attention des douleurs de la vie, de nous ancrer dans la réalité et la nécessité sociale et de gagner notre vie, en réduisant l’angoisse de la nécessité.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde où l'emploi est rare et la quantité de travail insuffisante. Les répercussions de ces aspects sur la santé psychologique et sur le bien-être en général sont de plus quantifiables. Il ne s’agit pas que du stress financier de se retrouver au chômage, mais aussi d’un autres stress qui risque de produire des changements dans les traits de la personnalité : l’agréabilité, la conscience, l’instabilité émotionnelle, l’ouverture. Si le burn out est l'épuisement par la surcharge de travail, le bore out est l'épuisement par l'ennui au travail, et depuis quelques années on se penche sur cette question. Les observations des scientifiques datent depuis beaucoup plus longtemps. En 1958 déjà March et Simon notaient qu'il n'existe aucune limite à la quantité d'inactivité que les organisations peuvent absorber, et en 1995 Jeremy Rifkin a prédit la fin du travail. En 2007 déjà, deux consultants d’affaires, Peter Werder et Philippe Rothlin (Diagnosis Boreout) analysent ce syndrome occidental qui consiste à ne plus avoir assez de travail pour occuper les salariés, même les plus talentueux. Et selon une enquête européenne menée en 2008 sur 11238 personnes venant de 7 pays européens et publiée en 2011 dans la Revue Internationale de Psychologie, 32% des salariés européens occupent un emploi où ils n'ont rien à faire. Un sentiment de frustration apparaît lorsqu'on est dans l'incapacité de contribuer au développement de l'organisation, d'utiliser ses connaissances et ses compétences, ou de voir ses efforts reconnus. Comme à chaque fois quand il s'agit de préserver son estime de soi ou son image, la personne va mettre en place des stratégies pour donner une apparence de stress ou d'activité, ou pour masquer l'évitement de tout travail ennuyeux supplémentaire. Normalement, l'être humain devrait fonctionner au mieux (et non pas au-dessous) de ses capacités, dans un équilibre harmonieux censé lui procurer de la satisfaction par son activité et rendre possible sa créativité.

Depuis, l’Intelligence artificielle est arrivée, elle s’est installée, elle a changé le paradigme du travail et de l’emploi.

Quand il y a trop de travail, ou quand il n’y en a pas, le stress est toujours présent. Dans les pays occidentaux, le stress provoqué par un travail excessif et frustrant est en nette augmentation. Mais celui qui n’a pas de travail est encore plus déprimé. Il ne s’agit pas seulement d’une question économique, mais du fait que le chômeur vit l’absence de travail comme une véritable castration symbolique. Cela est vrai particulièrement dans l’univers anglo-saxon qui met l’accent sur la responsabilité personnelle, alors que le monde latin tend à projeter la responsabilité sur l’extérieur, en faisant par exemple endosser à l’Etat la faute d’un échec personnel. Ceux qui perdent leur travail sont impuissants, en colère et souffrent de symptômes dépressifs. On voudrait bien croire que le chômage serait parfois une chance pour apprendre à employer de manière plus créative un temps « libéré » plutôt que « libre », mais malheureusement, l’expérience clinique semble prouver le contraire : quand le temps libre n’est pas choisi mais imposé, il devient un handicap très lourd, entraînant le manque de confiance en soi et un sentiment de méfiance généralisé. Faut-il comprendre la diminution du travail comme une libération ou comme une condamnation ? Des études menées montrent que l’activité professionnelle tendrait progressivement à perdre son caractère de pilier central autour duquel s’organise la vie de chacun. Ce qui est certain, c’est qu’à l’avenir, le travail changera de forme et que le temps libre occupera de plus en plus de place dans la vie d’un nombre croissant de personnes. Le travail passera de l’obligation à la créativité, et il devrait offrir deux types de solutions : la succession de métiers qui évoluent dans le temps, ou la combinaison de métiers différents. Dans certains pays, la mobilité professionnelle est valorisée comme un signe de compétence - un Américain, au cours de sa carrière, change de ville et de métier en moyenne tous les cinq ans, la capacité de déplacement étant le signe d’un bon professionnel. En Europe, à l’inverse, la continuité reste souvent considérée comme un indice de stabilité morale et d’attachement à l’emploi, quand bien même cette stabilité et cet attachement se feraient aux dépens de la créativité et de l’initiative personnelle. On voit, d'autre part, se développer le phénomène des « puzzles professionnels »: beaucoup de personnes ne gagnent pas assez avec leur travail principal et mènent une activité parallèle – souvent au noir, et presque toujours sur le temps libre. Cette nouvelle manière de travailler, appelée arc-en-ciel, nécessite des capacités d’adaptation psychologiques qui n’appartiennent pas à tout le monde.

Dans les pays de l’OCDE, quatre emplois sur dix sont créés dans les secteurs hautement numérisés. L’éducation et la formation devront aider à l’acquisition d’un ensemble de compétences nécessaires pour réussir dans le monde de travail digital. Certes, le quotient intellectuel (QI -capacités de mémorisation, de recherche de souvenirs, de raisonnement logique) restera important mais il ne suffira pas : le quotient émotionnel (QE) ou l'Intelligence émotionnelle, le quotient de curiosité (QC -qui mesure la curiosité, l’habileté d’une personne à avoir une motivation pour un sujet spécifique), le quotient digital (QD) entreront en ligne de compte. L’intelligence émotionnelle (l’IE) est à la base de l’esprit critique et elle comprend plusieurs compétences (si l’on applique à l’entreprise) : confianceflexibilitéresponsabilitéassertivitéservice clientgestion de la colèrecompétences socialescompétences de présentationcommunicationtravail en équipetolérance au stressempathietolérance au changementgestion du tempsprise de décision. L’IE a une énorme importance, car nous sommes des créatures émotionnelles et nos décisions répondent aux stimuli basés sur nos émotions. Ainsi, notre capacité à augmenter notre IE a un impact sur nos relations, sur la manière dont nous prenons des décisions et nous identifions des opportunités.

Rappelons dix qualités d’une personne émotionnellement intelligente : l’empathie, la conscience personnelle (l’art de se comprendre soi-même), la curiosité, l’esprit analytique, la confiance, les besoins et les désirs, l’optimisme, la passion, la faculté d’adaptation, le désir de réussir pour soi-même et d’aider les autres à réussir.

Dans le futur, c’est aussi un autre quotient qui va compter : c’est le QD, l’intelligence digitale qui va devenir essentielle dans le succès individuel et le bien-être de la société. Le problème est que la plupart des nations dans le monde ne comprennent pas correctement ce que le QD est, et quelles sont ses véritables implications pour leur propre radar. Le QD ne se limite pas à bien utiliser les technologies ou à savoir gérer le temps passé devant l’écran pour éviter l’addiction ou l’intoxication digitale. C’est bien plus que cela. Selon l’Institut du QD, l’intelligence digitale est « la somme des compétences sociales, émotionnelles et cognitives qui rendent capable l’individu de faire face aux défis et de s’adapter aux demandes de la vie digitale ». Or, ces demandes augmentent non nécessairement à cause des supports que nous utilisons comme outils, mais à cause des plateformes, des applications et des expériences auxquelles nous avons accès à travers ces outils. De nouveaux médias et de nouvelles plateformes sont lancés chaque année, et ils sollicitent l’attention croissante des utilisateurs, avec des jeunes et des enfants de plus en plus jeunes qui y ont accès sans beaucoup de préparation préalable. A la différence du QI, vu comme un facteur de l’intelligence génétiquement déterminé, le QD est une compétence qu’il faut construire. Il est le précurseur fondamental du développement du savoir du XXIème siècle nécessaire à la future force de travail, parce que, comme une langue, il est d’autant plus efficace alors qu'il est assimilé à un jeune âge. La preuve que le QD est une compétence qu’il faut construire, c’est l’exposition au danger en ligne (enfants, jeunes, et même adultes). Une empathie digitale réduite mène à l’anxiété et à la pression sociale, à la dépendance digitale, au cyberharcèlement, au formatage en ligne, à l’usurpation d’identité, à la mauvaise gestion des données personnelles, et à l’exposition aux campagnes digitales de désinformation. Ce qui est très important pour la société, c’est le lien entre un QD bas et la diffusion de fausses informations, car l’impact a des conséquences.

Dans le monde du travail actuel, nous avons besoin de tous ces quotients. Epoch Times  a publié un article sur la rapide dissémination de l’IA dans le monde professionnel, derniers chiffres à l’appui : Amazon a supprimé près de 14.000 postes de cadres pour rester agile (« Nous sommes convaincus de la nécessité d’une organisation plus légère, avec moins d’échelons et davantage de responsabilités, afin d’être le plus agile possible au service de nos clients et partenaires ») UPS a supprimé 34.000 emplois opérationnels durant les neuf premiers mois de l’année (en réalité, 48.000, d’après mes sources directes) conformément à son projet d’efficacité repensée (efficiency reimagined). Nestlé a indiqué qu’elle allait réduire de 16.000 le nombre de postes à l’échelle mondiale d’ici deux ans, invoquant le souci d’efficacité opérationnelle grâce à la mutualisation de services et à l’automatisation de ses processus.

En août, Marc Benioff, PDG de Salesforce, a révélé que l’entreprise avait remplacé quelque 4.000 agents du support client par des agents IA.

Ce qui est nouveau, c’est que ces licenciements ne sont pas motivés par la récession économique, mais au contraire, ils interviennent en période de forte rentabilité. Et c’est le grand bouleversement, la transformation de la notion même de travail sous l’effet de la diffusion rapide de l’IA. Si au cours des précédentes vagues d’automatisation les tâches manuelles ou routinières étaient remplacées, maintenant l’IA s’attaque aux capacités cognitives du cerveau. Elle ne se limite plus à exécuter automatiquement des tâches répétitives : elle apprend, analyse, décide.

Ces deux mutations - l’automatisation manuelle et l’automatisation cognitive — remodèlent ensemble le travail, qu’il soit qualifié ou non. Certains métiers sont transformés, d’autres disparaissent. Selon un rapport de la Réserve fédérale de St. Louis au début de 2023, l’IA générative - cette catégorie capable de créer de nouveaux contenus - s’est largement diffusée dans les milieux professionnels américains. Des outils comme Chat GPT sont désormais intégrés aux navigateurs, logiciels bureautiques et moteurs de recherche, démocratisant l’usage des grands modèles de langage pour des millions de travailleurs. L’IA générative cible les compétences cognitives des travailleurs du savoir, dans les secteurs considérés jusqu’à présent les plus stables. 

Une analyse de Goldman Sachs prévoit qu’une adoption généralisée de l’IA pourrait entraîner la suppression de 6 à 7 % des emplois aux États-Unis, soit plusieurs millions de postes. Les économistes de Goldman Sachs estiment que chaque hausse d’un point de productivité induite par une technologie économe en travail fait temporairement progresser le chômage d’environ 0,3 point. Un travail publié par la Harvard Business School en décembre 2024 montre que, à mesure que l’IA progresse, elle a un impact ambivalent sur la demande de main d’œuvre. Elle peut réduire la nécessité de spécialisation dans les fonctions les plus exposées à l’automatisation, en rendant des tâches complexes plus accessibles, mais elle peut aussi, dans les métiers bénéficiant de l’IA, accroître la demande de compétences avancées et complémentaires. Il revient aux décideurs publics et privés de reconnaître cette double dynamique pour que les employés puissent s’adapter au mieux dans ce nouvel environnement. Un récent article dans Les Echos du 17 novembre écrit que l’intelligence artificielle les cartes sur le marché de l’emploi, en renforçant les forts et en fragilisant les faibles. Néanmoins, si l’intelligence artificielle menace les emplois de certains secteurs, elle en crée de nouveaux et pousse les salariés à développer des compétences plus stratégiques. C’est une transition qui, bien gérée, pourrait devenir une opportunité pour les entreprises et les travailleurs. A condition donc que la transition soit bien gérée. Or, cela dépend du type de système économique et aussi de la manière dont la population se rapporte au travail, et cela a des explications historiques et culturelles. Le rapport au travail n’est pas identique aux Etats-Unis et en France, par exemple (pour mentionner ce que je connais directement).    

J’aimerais envoyer à une note CEFRO de 2022, Le travail : des routines brisées, un nouveau sens, surtout parce qu'elle contient quelques extraits assez édifiants d’un ouvrage concernant le marché du travail en France et sa spécificité par rapport à d’autres pays occidentaux. C’est un ouvrage d’économie paru en 2021, écrit par une essayiste libérale française qui nous présente, avec des chiffres et des graphs, le tableau de la France actuelle: La France peut-elle tenir encore longtemps ? 

http://www.cefro.pro/archive/2022/01/28/le-travail-des-routines-brisees-un-nouveau-sens.html

Ressources

Archives CEFRO

Les Echos et Epoch Times en ligne.

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