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01/03/2024

Notre cerveau et la spiritualité

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(Photo- Nice, amandier en fleur)

Dans son célèbre ouvrage Das Heilige, 1917/Le Sacré, Paris, Payot, 1949, Rudolf Otto, théologien et philosophe allemand, décrit le sacré comme une catégorie importante de la conscience humaine composée d’éléments rationnels et non-rationnels. Au-dessus et au-delà de notre être, il existe, caché au fond de notre nature, un élément dernier et suprême qui ne trouve pas satisfaction dans l’assouvissement et l’apaisement des besoins répondant aux tendances et aux exigences de notre vie psychique, physique, spirituelle. C’est le tréfonds de l’âme, là où se cache cette connaissance a priori qui est l’expérience numineuse, une expérience terrifiante et irrationnelle, provoquée par un aspect de puissance divine. Le numineux se singularise comme quelque chose de tout autre, de radicalement différent, il ne ressemble à rien d’humain ou de cosmique, et à son égard, l’homme a le sentiment de sa profonde nullité (Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, Editions Gallimard, 1957).

Otto analyse cette catégorie en termes d’éléments rationnels et non-rationnels: le mysterium tremendum, l’élément répulsif du numineux, qui se schématise par les idées de justice, de volonté morale - la sainte colère de Dieu, dont parle l’Ecriture -et le mysterium fascinans, l’élément captivant, qui se schématise par la bonté, la miséricorde, l’amour, la grâce. Le rationnel qui se trouve dans le sacré (le divin) est ce qui peut être traduit en concepts, ce qui peut être mis en langage. Le non-rationnel est impossible à faire passer de l’obscurité du sentiment dans le domaine de la compréhension conceptuelle, sinon au moyen d’images et d’analogies. L’invisible, l’éternel (le non-temporel), le surnaturel, le transcendant ne sont que de simples idéogrammes qui indiquent le contenu du sentiment en question, mais pour comprendre, il faut avoir éprouvé l’expérience numineuse, c’est-à-dire avoir rencontré un des moyens d’expression du sacré, tels l’effrayant, le hideux, le terrible, ou au niveau supérieur, le grandiose, le sublime. Dans son ouvrage bien connu Le Sacré et le Profane, Eliade montre que l’homme a une disposition propre à se rapporter au Centre du monde, point fixe dans le chaos, en reconnaissant un espace sacré, dont il déchiffre les hiérophanies. Eliade considère aussi que le sacré et le profane sont deux modalités d’être dans le monde, deux situations existentielles vécues par l’homme au long de son histoire. Il analyse l’expérience de cet espace telle qu’elle est vécue par l’homme non-religieux, qui refuse la sacralité du monde, qui assume uniquement une existence profane, purifiée de toute présupposition religieuse, et il montre qu’une telle existence profane à l’état pur ne se rencontre jamais. Quel que soit le degré de la désacralisation du monde auquel il arrive, l’homme ne réussit pas à abolir complètement le comportement religieux, l’existence la plus désacralisée conserve encore des traces d’une valorisation religieuse du Monde.

Le sentiment du sacré naît donc de la crainte et de l’émerveillement, et de ces émotions fondamentales ont surgi l’étonnement, puis le questionnement, marquant ainsi le commencement de la grande aventure philosophique et spirituelle de l’humanité, écrit Frédéric Lenoir dans son récent ouvrage L’Odyssée  du sacré, Editions Albin Michel, 2024. Il rappelle que, dès son apparition, l’homo sapiens organise des rituels funéraires en gravant sur les parois des cavernes des scènes symboliques qui évoquent une forme de religiosité liée à la nature. L’être humain reste le seul qui ritualise la mort et qui organise sa vie en fonction de croyances en un monde invisible peuplé d’entités supérieures, le seul qui a développé une pensée symbolique, un langage abstrait et a créé des mythes fondateurs et collectifs. Il est un animal politique, et aussi religieux et spirituel.

En faisant la distinction entre croyance et religion/spiritualité (nous croyons à ce que nous dit la science), l’auteur énumère les moments-clés dans l’évolution de l’humanité. Le passage du Paléolithique au Néolithique, lorsque sapiens se sédentarise et rend un culte aux ancêtres, aux dieux et aux déesses de la cité est un premier tournant. Un deuxième est l’invention de l’écriture et la formation des civilisations, la naissance des grandes religions polythéistes, avec l’avènement des codes moraux et du patriarcat et l’apparition des récits mythiques. L’âge axial de l’humanité vient vers le milieu du premier millénaire avant notre ère, avec une véritable révolution liée au développement de la conscience individuelle et de la raison critique dans les couches cultivées de la population. C’est l’époque des grandes écoles de sagesse en Grèce, du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme, jusqu'à plus tard Jésus et Muhammad au Proche-Orient. Le dernier tournant historique est celui de la modernité à partir de la Renaissance qui bouleverse les modes de vie des humains, par le progrès de l’individualisation, de la globalisation du monde, du développement de l’esprit critique, d’où naîtront la science, le capitalisme et la technologie. 

Les derniers bouleversements ont un impact décisif sur la spiritualité et la religion: sécularisation, atomisation du croire, spiritualité à la carte, mais aussi réactions religieuses identitaires et nouvelle quête de certitudes. Pour l’auteur, nous assistons peut-être à un cinquième grand tournant de l’humanité, avec la crise écologique et le bouleversement de nos modes de vie, liés à l’ère des nouvelles technologies de communication, à l’Intelligence artificielle, au transhumanisme. Quelles peuvent être les conséquences de cette nouvelle révolution culturelle et sociale sur notre manière de concevoir et de vivre le sacré ? se demande l’auteur, qui se penche aussi sur les découvertes de la psychologie cognitive et des neurosciences pour voir ce qu’elles nous apprennent sur le lien entre notre cerveau et les croyances ou les expressions religieuses et spirituelles.

Il est probable que la spiritualité, sous toutes ses formes, ne disparaîtra pas puisque notre cerveau est programmé pour trouver des remèdes contre l’incertitude (l’autonomie, la maîtrise, le contrôle) et pour essayer de donner du sens à l’existence. Selon Thierry Ripoll, professeur de psychologie cognitive cité dans l’ouvrage, notre besoin de croire malgré l’absence de preuves s’explique par le besoin de trouver une explication satisfaisante du sens de la vie. Des chercheurs canadiens ont, eux aussi, développé la théorie de la religion comme moyen de compenser le sentiment de perte de contrôle, les hommes ont besoin d’avoir soit un contrôle personnel sur leur vie soit un contrôle externe (Dieu, un gourou, une instance régulatrice supérieure). L’engagement religieux apparaît ainsi comme une réponse au stress existentiel et comme garant de l’équilibre psychique interne.  C’est pourquoi on pourrait dire, comme Thierry Ripoll, que l’humanité restera toujours religieuse parce que notre système cognitif produit de la croyance et que cela a des avantages au niveau individuel : Elle est un puissant anxiolytique, elle donne sens à la vie, elle fournit un horizon spirituellement magnifique, elle garantit une forme de vie après la mort, elle permet parfois de ressentir une véritable relation d’amour entre soi et Dieu. Il est vrai, dit le professeur de psychologie cognitive, que la pensée religieuse nous prive de la vision d’un univers complexe et nous offre une représentation de Dieu dégradante en raison de son anthropomorphisation, mais, d’autre part, l’athéisme ne propose aucun avantage individuel: En plus d’être contre-intuitif, il est conceptuellement complexe, existentiellement insupportable et émotionnellement douloureux. La solution serait que chacun arrive à développer son système analytique, donc la raison, afin que ce système l’emporte sur le système intuitif: La formation à la recherche scientifique est le meilleur antidote à l’ensemble des croyances.

Pour le psychiatre Boris Cyrulnik, la religion est un phénomène culturel, relationnel et social, tandis que la spiritualité est un prodige intime qui ne disparaîtra pas car elle donne une forme verbale précise à nos préoccupations profondes: notre filiation, notre destin sur terre et après la mort. Elle a émergé de la rencontre entre un cerveau capable de se représenter un monde totalement absent et un contexte culturel qui donnait forme à cette dimension de l’esprit. C’est pourquoi, la spiritualité est universelle, intemporelle et inhérente à la condition humaine. Il est possible que de nouvelles formes de spiritualités émergent, observe-t-il, en réaction au carcan religieux, mais toujours des manières de se relier au sacré pour gagner en conscience et trouver un chemin de croissance de l’être personnel.

 

Sur le même sujet

Archives CEFRO

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http://www.cefro.pro/archive/2020/02/26/les-forces-interieures-une-source-durable-de-bien-etre-i-6215532.html

http://www.cefro.pro/archive/2014/09/07/les-nouvelles-psychologies-5442288.html 

01/05/2023

L'estime de soi

estime de soi,image de soi,authenticité,qualité de vie

(Photo- Nice, rosier en mai)

Comment pourrait-on définir une personne authentique? Elle a une haute estime de soi, elle accepte l'idée d'être parfois vulnérable, elle partage ses idées, opinions, croyances sincères avec le reste du monde, elle fait et reçoit volontiers des compliments, elle écoute réellement et préfère les conversations profondes, elle se laisse guider par sa voix intérieure plutôt que par son environnement. La clé de l'authenticité consiste à savoir qui on est, et se sentir bien avec soi-même. Cela demande du temps pour développer des idées solides sur les choses qui présentent vraiment de l'intérêt à ses propres yeux, afin de ne pas adopter aveuglément celles des autres. Quand on arrive à vivre en accord avec ses valeurs, quand on peut les ressentir, les soutenir, se battre pour elles, les représenter, on devient davantage proactif que réactif. Les personnes qui savent regarder en elles-mêmes, pour comprendre pourquoi elles pensent et agissent d'une certaine façon, sont plus éveillées quant aux principes et aux objectifs qui jalonnent leur vie. 

Le noyau de ce comportement authentique n'est autre que l'estime de soi. Sur la question fondamentale si l'estime de soi est une valeur inaliénable, ou bien une capacité à acquérir, les opinions sont divisées. Dans certains pays, il existe des programmes pour promouvoir l’estime de soi et la responsabilité, comme facteurs indispensables de la réussite personnelle et sociale. Mais pour qu’ils soient vraiment efficaces, il faudrait qu’ils accompagnent des changements de fond dans la société, des changements susceptibles d’offrir des conditions à l’épanouissement personnel.

Le psychiatre Christophe André énumère six dimensions de l’estime de soi : la hauteur, la stabilité, l’harmonie, l’autonomie, le coût, la place dans la vie personnelle.

On peut avoir une estime de soi haute (s’apprécier, être assez sûr de soi pour agir et prendre sa place parmi les autres, ne pas s’effondrer face aux échecs ou aux difficultés, etc.) ou basse (se dévaloriser, être peu sûr de soi et souvent éviter d’agir et ou de prendre sa place parmi les autres, facilement s’effondrer ou renoncer face aux échecs et aux difficultés, etc.). La recherche d’une haute estime de soi à tout prix ne peut être un idéal. De nombreux sujets à haute estime de soi s’avèrent anxieux, rigides, et finalement en échec intime, émotionnel et relationnel, dans de nombreuses circonstances de la vie. Alors que certains sujets ayant une estime d’eux-mêmes modérée arrivent à se sentir bien et à accomplir de grandes choses. Il est possible de mentir ou de se mentir en matière de niveau d’estime de soi. On identifie une bonne estime de soi au discours que la personne porte sur soi (elle parle positivement d’elle, accepte les compliments sans gêne), à son attitude face à l’action (elle est capable d’entreprendre, de persévérer, de renoncer sans se sentir humiliée ni chercher d’excuses), à ses attentes et à ses ambitions (elle ajuste ses prétentions à sa valeur, ni trop ni trop peu).

Un bon indice de la qualité de l’estime de soi concerne sa réactivité aux événements de la vie. Il s’agit de l’intensité des réactions émotionnelles face aux situations difficiles, mais aussi aux réussites. Une estime de soi stable joue un rôle d’amortisseur face aux échecs ou aux réussites, aux critiques ou aux approbations. C’est-à-dire ne pas avoir une réactivité exagérée au moindre problème qui mettrait en cause son image devant les autres. Cette stabilité se traduit par un comportement et un discours constants, quel que soit le public ou les interlocuteurs. 

Une estime de soi harmonieuse n’est pas surinvestie dans un domaine, mais au contraire, elle a de multiples centres d’intérêt. La personne peut ainsi se réparer dans un domaine si elle est en échec dans un autre, et cela sans sombrer dans l’amertume. Il n’existe pas de grands écarts entre personne privée (en famille, avec les proches) et personnage public (dès que les autres regardent). 

Certaines estimes de soi dépendent principalement de facteurs externes - succès financier ou statutaire, apparence physique. D'autres sont plus centrées sur l’atteinte de valeurs, la pratique de vertus (se montrer gentil, serviable, solidaire, généreux, honnête, etc.). Quand on investit son estime de soi dans des objectifs internes, elle est plus résistante et solide parce qu’elle ne dépend pas de la validation de l’environnement. Elle est donc autonome par rapport aux pressions sociales sur ce qu’il faut avoir, faire ou montrer pour se sentir estimé des autres (voiture, conjoint, enfants, etc.). La capacité d’endurance, de supporter le rejet ou le désaveu en termes de soutien social est aussi un marqueur de l’autonomie de l’estime de soi.

Pour rester à niveau, l’estime de soi nécessite des  stratégies de maintien, de développement, de protection. Cela a un coût psychologique. Protéger ou promouvoir l’estime de soi ne se fait pas en dépensant énormément d’énergie dans le déni de réalité, la fuite, l’évitement, l’agressivité envers autrui. Ce sont là des stratégies qui sacrifient de nombreux aspects de la qualité de vie. Une estime de soi « économe » en énergie psychologique suppose un impact émotionnel modéré des événements mineurs, un bas niveau général du stress, une réaction mesurée aux critiques, une justification sans exagération, une capacité à entendre les critiques au lieu de les éviter ou de les annihiler. 

L’aspect de la place centrale de l’estime de soi dans la vie de la personne est important puisqu'il est lié à l’image de soi. Quelle importance accordons-nous à notre image, à l’opinion que les autres ont de nous, à notre amour-propre (réagir aux critiques sans se sentir offensé, ou parfois choisir de ne pas réagir) ? La question est si la défense ou la promotion de notre image occupent une place centrale dans notre esprit et dans nos efforts, ou simplement une place légitime, sans excès. Chez les personnalités narcissiques, l’estime de soi est une question centrale et vitale et aussi envahissante. Une bonne estime de soi, c’est-à-dire non surinvestie, se reconnaît au fait que les blessures d’amour-propre ne contaminent pas l’ensemble des pensées de la personne, son activité ou ses états émotionnels. La personne a la capacité de digérer ses échecs sans drame, sans surveiller en permanence les indices témoignant de son statut, elle se contente d’être appréciée sans avoir besoin d’être célébrée. Elle peut suivre des objectifs qui ne lui rapportent rien en termes de prestige social ou d’image, elle agit gratuitement en termes d’estime de soi. Tout le monde n’en est pas capable, mais tout le monde peut apprendre.

Voici dans ce document PDF les caractéristiques d'une personne qui s'estime (cours CEFRO).

 

Références 

Christophe André, Imparfaits, libres et heureux. Pratiques de l’estime de soi, Editions Odile Jacob, 2006, 2009

Archives CEFRO Etre authentique (2014)

01/07/2022

Archives (Le besoin de narration)

archives, narration, cerveau, dépendance, fiction

(Photo- Bougainvilliers en été)

Pour ce mois de vacances, je vous propose comme relecture cette note de 2018. Elle envoie à un document PDF avec des extraits d’Italo Calvino (« Pourquoi lire les classiques ? ») et, en fin de texte (Références), à quelques autres notes antérieures traitant de ce sujet.

Le besoin de narration et même la dépendance à la fiction sont à ce jour scrutés dans une perspective neurocognitive, comportementale. Le biologique, le psychologique, le social sont interdépendants. L’homme se distingue de l’animal par sa capacité à raconter des histoires, la narration étant la plus puissante forme de communication. Notre cerveau fonctionne comme un mécanisme narratif.

http://www.cefro.pro/archive/2018/05/31/le-besoin-de-narration.html

 

01/03/2022

Soyons des progressants!

liberté intérieure, livre, forces intérieures

(Photo- L'amandier en fleur sur la Coulée verte, Nice)

Cette note aimerait vous suggérer une lecture réconfortante, utile et accessible. Les philosophes antiques se percevaient comme des progredientes (des « progressants ») pour qui le sens de l’existence consistait à se départir des passions tristes et à accéder à la vie bonne. Approfondir le sens et les motivations de nos actions, comprendre nos passions et nos émotions, afin de mieux vivre, c’est une démarche qui n’est pas nouvelle, certes, mais qu’il faudrait entreprendre avec les outils de notre époque.

Les trois auteurs du livre « A nous la liberté ! », trois amis en quête de progrès intérieur, nous proposent une réflexion sur le thème de la liberté, en nous faisant part de leurs échanges et de leurs témoignages. Il est question de liberté intérieure, sans laquelle la liberté extérieure ne serait possible. Nous sommes invités à opérer une conversion pour quitter le mode pilote automatique dans lequel nous vivons au quotidien (nos habitudes, nos routines de comportement et de pensée), en nous attaquant aux conditionnements qui peuvent devenir de véritables toxines du mental. La formule d’Erasme - « on ne naît pas homme, mais on le devient » - pourra ainsi devenir « On ne naît pas libre, on le devient, et ce n’est jamais fini ! » (André Comte-Sponville). Nous faisons un travail permanent, de tous les instants, afin de préserver ou de restaurer nos libertés intérieures (nous affranchir de nos peurs et de nos habitudes, quitter le narcissisme ou l’égoïsme) ou extérieures (nous libérer de nos attachements excessifs et de nos dépendances). Cet effort sur soi, que les Anciens appelaient la métanoïa, est en fait un travail soutenu pour arriver à maîtriser l’art de vivre qui assure la sérénité de l’esprit. Un travail avec notre propre vie.

Qu’est-ce que la liberté intérieure ? Alexandre Jollien cite la lettre de Spinoza à Schuller : « Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent ». Nous sommes, presque tous, le jouet de nos égarements, de nos conditionnements, de nos pulsions, de nos conflits intérieurs, de nos pensées errantes et de nos émotions perturbatrices. Cette servitude est à l’origine de nombreux tourments. Epictète avait l’habitude de répondre, quand on lui demandait qui il était: « Un esclave en voie de libération ». Il s’agit bien d’une prison, celle des mécanismes et des rouages mentaux qui nous asservissent, et qu’il faut essayer de comprendre d’abord pour pouvoir s’en débarrasser ensuite. Nous avons besoin d’un bon discernement pour les identifier, et celui-ci n’existe pas sans la sagesse, la lucidité et la compétence. La liberté intérieure peut donc s’acquérir par une meilleure compréhension du fonctionnement de notre esprit, et par une élucidation des mécanismes du bonheur et de la souffrance. Une fois que ce discernement agit, il faudra s’entraîner constamment pour gérer avec aisance et intelligence les états mentaux qui nous affligent. La liberté intérieure nous confère une grande force parce que nous devenons  moins vulnérables à nos propres pensées, et aussi moins désorientés par les conditions extérieures qui ne cessent de changer. Et si nous nous sentons moins vulnérables, nous sommes moins centrés sur nous-mêmes et nous sommes plus ouverts à autrui, plus disponibles, plus empathiques, plus bienveillants. La liberté intérieure ne nous est pas donnée, elle se découvre et se construit individuellement, mais dans le réel. Néanmoins, dans ce travail, nous n’avons pas de chances égales au départ, puisque chacun porte son histoire, ses traumatismes, ses blessures, ses dysfonctionnements internes, ses lacunes et ses carences, mais aussi des ressources insoupçonnées.

Si le garant de la liberté extérieure, des corps, c’est la loi (« La liberté, c’est le droit de faire ce que les lois permettent », Montesquieu), la liberté intérieure, celle de l’esprit, dépend des lois du cerveau. C’est le fonctionnement particulier du cerveau qui risque de nous enfermer dans nos habitudes et nos automatismes, nos négligences, nos peurs, nos émotions.

Il n’y a pas de liberté intérieure sans sagesse. Et accéder à la sagesse n’est pas un cheminement facile. Le livre des trois amis - un philosophe, un scientifique et moine bouddhiste, un psychiatre - offre des outils pour mieux réfléchir et pour s’exercer dans cette voie. Il est structuré ainsi : la première partie comprend un inventaire des obstacles à la liberté intérieure (la faiblesse de la volonté, la dépendance, la peur, le découragement et le désespoir, l’égocentrisme, l’égarement), la deuxième est centrée sur l’environnement qui agit sur notre mental (lieux, environnement culturel), la troisième fait un résumé de nos efforts vers la libération (efforts difficiles, efforts joyeux, l’entraînement de l’esprit, la méditation, le rôle de l’action dans la transformation de soi et du monde), et la quatrième énumère les résultats de la liberté (la paix intérieure, notre nature profonde, la peur de la mort, l’éthique, la bienveillance).

 

Références: 

Christophe André, Alexandre Jollien, Matthieu Ricard, A nous la liberté ! , L’Iconoclaste et Allary Editions, Paris, 2019

Archives CEFRO : La pensée positive et le progrès (2015)

                            Les forces intérieures, une source durable de bien-être (I) (2020)

                            Le bonheur et la solitude (2014)