01/05/2025
Rumination ou introspection?
(Photo- Le Danube à Galati, Roumanie, avril 2025)
Un comportement très fréquent consiste à ruminer des pensées négatives. Etre obsédé par le besoin de comprendre certaines situations, en allant à leur racine et en les revisitant de manière répétitive, peut devenir une source d’anxiété ou de dépression. Il faut distinguer de l’introspection saine, qui est libératrice parce qu’elle mène à un sentiment d’accomplissement et de clarté. Les pensées ruminantes négatives ne font que nous embrouiller toujours davantage. Alors, quelle attitude choisir ? Ou peut-être quelle thérapie ?
Je vous propose de lire quelques notes des Archives sur deux approches thérapeutiques qui se fondent sur le récit, mais qui sont différentes : la psychanalyse et la thérapie narrative.
Après plus de 30 ans de règne absolu de la psychanalyse en France, dans la culture, l'éducation, les médias, il y a eu le choc 2004 -2005: la publication du rapport de l'INSERM sur l'efficacité des psychothérapies, et sa suppression du site du Ministère de la Santé, sous la pression du puissant lobby psychanalytique. Une brèche venait de s'ouvrir dans le mur de cette pensée hégémonique, dont la capacité de séduction continue encore d'opérer en France, en Argentine et au Brésil. Dans le reste du monde occidental, la psychanalyse est dépassée, ses théories invalidées et obsolètes, son endoctrinement tari.
Paru en 2005, Le livre noir de la psychanalyse a représenté l'événement majeur dans la critique du freudisme et un ouvrage salutaire dans l'information du public. Dans l’introduction Pourquoi un livre noir de la psychanalyse?, la coordinatrice de l'ouvrage Catherine Meyer écrit: "La connaissance de l'homme, de sa vie psychique, a beaucoup évolué depuis un siècle. Il existe bien d'autres approches que celle des psychanalystes pour appréhender, analyser et soigner la souffrance mentale. Il y a une vie après Freud: on peut, en thérapie, travailler sur un inconscient non freudien, on peut aussi s'intéresser à l'enfance, à la sexualité, à l'histoire et aux émotions de chacun sans adhérer aux concepts freudiens. (...) Freud a influencé notre propre manière de vivre, c'est l'évidence. Il est important pour chacun de nous de savoir quelle est la part de science, de philosophie et d'illusion qui préside à cette conception de l'homme."
Sur le "marché" de la souffrance psychique, la psychanalyse se voit forcée "d'adapter" son discours, comme une église qui feint l'ouverture, tout en veillant plus que jamais à la préservation de son dogme. Comme une église, elle cherche des territoires, là où cela paraît encore possible : l'espace méditerranéen, l'Amérique latine, l'Europe de l'Est. On sait bien que la force de cette pensée unique réside dans son système de formation, à savoir dans son appareil institutionnel, qui lui a permis de se maintenir en tant que thérapie de prédilection.
Il est évident que les progrès de la science authentique vont vaincre les dernières résistances. En 2009, l'Institut de Santé des Etats-Unis lançait un programme de recherche en neurosciences sur 5 ans financé à hauteur de presque 40 millions de dollars - Human Connectome Project - l'objectif étant d'établir une carte des réseaux du cerveau, ce qui facilitera la compréhension des troubles tels la dyslexie, l'autisme, l'Alzheimer, la schizophrénie. La formation des spécialistes (souvent multidisciplinaire) figure parmi les enjeux de taille de ce siècle.
La lecture peut être une thérapie pour gérer les défis émotionnels de l’existence. Les neurosciences ont trouvé que dans notre cerveau les mêmes réseaux s’activent quand nous lisons des récits et quand nous essayons de deviner les émotions d’une autre personne. Nos habitudes de lecture changent au fur et à mesure des étapes que nous traversons dans notre vie. Pour certaines personnes, lire de la fiction est simplement essentielle à leur vie. A une époque séculière comme la nôtre, lire de la fiction reste l’une des rares voies vers la transcendance, si l’on comprend par ce terme l’état insaisissable dans lequel la distance entre le moi et l’univers se rétrécit. Lire de la fiction peut nous faire perdre tout sens de l’ego, et en même temps, nous faire nous sentir pleinement nous-mêmes. Un livre nous divise en deux pendant que nous lisons, parce que l’état de lecture consiste en une totale élimination de l’ego, et qu’il nous promet une union perpétuelle avec un autre esprit.
La biblio-thérapie est un terme qui désigne l’ancienne pratique consistant à encourager la lecture pour ses effets thérapeutiques. Sa première utilisation date de 1916, dans un article paru dans The Atlantic Monthly sous le titre A Literary Clinic. L’auteur y décrit un institut où l’on dispense des recommandations de lecture à valeur de guérison. Un livre peut être un stimulant ou un sédatif, un irritant ou un somnifère. Il a un effet certain sur nous, et nous devons savoir lequel. Nous choisissons nos lectures: des récits agréables qui nous font oublier, ou des romans qui nous sollicitent ou nous déstabilisent. La biblio-thérapie prend aujourd'hui des formes diverses et variées: des cours de littérature pour la population carcérale, des cercles pour personnes âgées ou atteintes de démence sénile. Il existe une biblio-thérapie émotionnelle, parce que la fiction a une vertu restauratrice. On peut prescrire des romans pour différentes affections, telles le chagrin d’amour, ou l’incertitude dans la carrière. En 2007, The School of Life a été créée avec une clinique de biblio-thérapie, la fiction étant vue comme une cure suprême parce qu’elle offre aux lecteurs une expérience transformationnelle.
En fait, on retrouve la méthode chez les Grecs anciens qui avaient inscrit au-dessus de l’entrée de la bibliothèque de Thèbes que là, c’était un lieu pour la guérison de l’âme. La pratique s’est installée à la fin du XIXe siècle, quand Freud avait commencé à utiliser la littérature dans ses séances de psychanalyse. Après la Première Guerre, on prescrivait souvent un cours de lecture aux soldats traumatisés qui revenaient du front. Plus tard, et plus récemment, la biblio-thérapie est utilisée par les psychologues, les travailleurs sociaux, les médecins, les gérontologues, comme un mode de thérapie viable.
Tous les lecteurs passionnés qui se sont soignés eux-mêmes avec de grands livres pendant toute leur vie savent que lire des récits est bon pour la santé mentale, pour les relations avec les autres. Mais de nos jours, cela est devenu encore plus clair grâce aux récentes recherches mettant en évidence les effets de la lecture sur le cerveau. La neuroscience de l’empathie doit beaucoup à la découverte des « neurones miroirs », au milieu des années ’90.
Nous cherchons tous à donner du sens à nos expériences quotidiennes. Nous créons les récits de nos vies, en reliant des événements entre eux, dans une séquence de temps spécifique, et en trouvant une façon de les expliquer, de leur donner du sens. Cette recherche de sens fournit le thème de l’histoire. Nous n’arrêtons jamais dans la vie de générer du sens. Une histoire, c’est comme un fil qui tisse les événements entre eux pour former un récit. Chacun de nous dispose, pour décrire sa vie et ses relations, de nombreuses histoires qui vivent en parallèle, par exemple, des histoires sur nos aptitudes, nos batailles, nos compétences, nos initiatives, nos désirs, nos relations, notre travail, nos centres d’intérêt, nos victoires, nos réalisations, nos échecs. Nous les avons développées en reliant certaines de nos expériences de vie dans une séquence et en leur attribuant du sens. Notre histoire dominante influence nos actes dans le présent, elle a aussi des répercussions sur nos faits et gestes à venir. Les significations que nous donnons aux événements ne sont pas neutres sur leurs conséquences et sur notre vie, elles fondent et elles façonnent notre vie future. Plusieurs histoires vivent en parallèle, nos vies sont multi-histoires et elles sont inscrites dans un contexte social élargi, lequel influe sur les interprétations et les significations que nous attribuons aux événements.
La thérapie narrative tient compte de la réalité culturelle, historique et sociale de chaque personne. La tâche du thérapeute n’est pas de trouver une solution ou de comprendre les systèmes, mais plutôt de poser des questions pour aider les personnes à observer l’influence de certaines histoires culturelles restrictives et à enrichir leur propre histoire de vie. L’important n’est pas de résoudre le problème mais d’identifier ou de modifier les histoires qui maintiennent le problème, et de construire de nouvelles histoires qui créent de nouvelles possibilités de vie. L’approche narrative considère que notre histoire n’est pas un compte-rendu de notre vie, mais à l’inverse, que ce sont nos récits sur notre expérience qui donnent forme à notre vie et à notre identité.
La thérapie narrative, qui fait partie des thérapies brèves de troisième vague, devenue « pratiques narratives » consiste essentiellement à redévelopper des narrations personnelles et à reconstruire l'identité (les co-créateurs de l’approche narrative sont Michael White et David Epston). Le principe de l’approche narrative est de découvrir quelles sont les histoires qui nous constituent et de dégager celle qui domine et nous retient prisonniers dans un schéma comportemental. Ces histoires donnent du sens à ce que nous vivons. Nous les construisons à partir de nos croyances, qui proviennent de notre culture, famille, éducation, religion, et elles sont déterminantes dans notre comportement face aux difficultés et aux choix que nous faisons.
Freud considère que les poètes et les romanciers sont de précieux alliés, car ce sont des maîtres dans la connaissance de l’âme. Selon lui, les seuls éléments qui comptent dans la vie psychique sont plutôt les sentiments, toutes les forces psychiques ne comptent que par leur aptitude à éveiller des sentiments. Dans les années ’90, Jerome Bruner inscrit la narration dans l’identité et les histoires dans le vivant. Le travail de Michael White en thérapie narrative s’appuie sur les recherches de Bruner sur la mémoire, le mécanisme narratif, le récit. L’intérêt de Michael White pour la métaphore narrative est basé sur l’hypothèse que les gens donnent du sens à leur expérience des événements de leur vie en les plaçant dans des cadres d’intelligibilité. Or, le principal cadre d’intelligibilité des actes de création de sens dans la vie de tous les jours est fourni par la structure de la narration. Et c’est par la circulation d’histoires concernant notre vie et celle des autres que l’identité se construit.
Référence
http://www.cefro.pro/archive/2013/09/07/temp-afbf9e572785...
http://www.cefro.pro/archive/2015/06/14/la-fiction-comme-...
http://www.cefro.pro/archive/2017/01/03/les-therapies-bre...
http://www.cefro.pro/archive/2017/01/19/le-recit-c-est-la-vie.html
http://www.cefro.pro/archive/2017/04/10/activite-erasmus....
18:14 Publié dans Archives, Blog, Compétences émotionnelles/Emotional Intelligence, Cours/Courses, Formation/Training, Livre, Philosophie/Psychologie, Science | Tags : archives, introspection, rumination, thérapie narrative, psychanalyse | Lien permanent | Commentaires (0)
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