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01/02/2023

Lire Spinoza, une forme de thérapie

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(Photo- L'hiver, ailleurs)

Le mal est une absence de bien (privatio boni). C’est ce que dit Thomas d'Aquin, philosophe et théologien, l’un des pionniers de la Scolastique au 13 e siècle, Docteur de l’Eglise, le plus saint des savants et le plus savant des saints. Thomas d'Aquin occupe un chapitre dans mon travail de Thèse sur la pensée et la littérature du Moyen Âge, et, des années plus tard, quand mon intérêt allait s'élargir au domaine des émotions et des neurosciences, sa formule concise privatio boni, comme définition du mal, m'est apparue sous un autre éclairage. Par exemple, à propos de l’absence de joie, même dans les moindres aspects de la vie (ce que l’on appelle anhédonie ou perte de la capacité à éprouver du plaisir - symptôme central de la dépression majeure et de certains troubles neuropsychiatriques).

Mais plus concrètement, comment faire quand on se trouve confronté au mal absolu, c'est-à-dire à la mort, violente et soudaine, d’un être cher ? En général, il existe deux solutions censées apporter un peu de consolation : la religion (la foi) et la philosophie (la raison). C’est pourquoi, depuis novembre dernier, je me suis plongée dans la lecture de mon philosophe-thérapeute, Spinoza, qui m'avait déjà aidée en 2003, dans un moment difficile. 

Ceux qui connaissent Spinoza savent qu’il était loin d’être athée (bien qu’il fût excommunié), et qu’il a créé peut-être le plus cohérent des systèmes philosophiques, où la Raison et la Joie occupent une place fondamentale: Deus sive Natura. Il explique, dans son Traité de la réforme de l’entendement, le but de sa recherche : "Je résolus de chercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l’âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine". Ce Bien suprême est Dieu, mais c'est le Dieu de Spinoza. 

Cette fois-ci, j'ai choisi le Traité théologico-politique. J’ai résumé quelques idées dans ce document PDF.  

 

Références 

Spinoza, Œuvres II. Traité Théologico-politique, GF-Flammarion, 1965

01/11/2021

Ethique et religion?

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(Photo- L'automne au bord du Danube, Galatzi)

Wittgenstein avait présenté sa Conférence sur l’éthique devant un public de non-philosophes. Selon lui, l'éthique se pense toujours dans un contexte et dans des pratiques déterminées, elle ne saurait être une théorie, mais aurait un caractère intrinsèquement personnel. L'analyse détaillée des aspects physiques et psychologiques de nos actions ne nous révélera jamais ce qui les lie à l'éthique, mais c'est notre attitude vis-à-vis de ces actions qui les rend éthiques, plus exactement la manière dont nous arrivons à nous extraire des faits pour les contempler comme d'un point de vue extérieur. Il dit, par exemple, que lorsque quelqu'un face à une décision importante se demande "Que dois-je faire?", le sérieux de cette question est "éthique" parce qu'il se distingue d'autres types de choix. Donc, l'éthique est dans l'attitude du sujet qui expérimente et qui éprouve. Le monde de l'homme heureux n'est pas le même que le monde de l'homme malheureux, bien que les faits qui le constituent soient identiques, c'est le regard qui change, la volonté à l'égard de ce monde qui est différente, mais pas le monde lui-même. En voulant exprimer l'inexprimable (tout comme la religion ou l'esthétique), l'éthique se confronte aux limites du langage, elle ne peut pas s'énoncer sous la forme de propositions douées de sens, mais elle peut se montrer à travers des expériences qui la révèlent dans son authenticité. Wittgenstein ne méprise pas les polars, cette littérature "mineure" où il dit trouver des exemples d'expériences éthiques souvent plus profondes que celles présentes dans les ouvrages de philosophie.

Il y a dix ans, lors de l’affaire DSK, France 3 a diffusé un documentaire (DSK, l’homme qui voulait tout), réalisé par un psychanalyste très médiatique et aussi très à gauche, et dont l’intention affirmée était de proposer un regard freudien. Je n'avais regardé qu’un quart d’heure de ce documentaire, pas plus. Un regard freudien signifie pour moi quelque chose d'implacable et de sentencieux, je ne m'attendais donc pas que le documentaire fût joyeux, mais la démarche allait subtilement dans le sens d'une justification finalement logique (et que j'avais trouvée assez politique). C'est toujours Wittgenstein qui écrit, à une époque où il n'admirait plus la psychanalyse, que "les pseudo-explications fantastiques de Freud (justement parce qu'elles sont pleines d'esprit) ont rendu un mauvais service, n'importe quel âne disposant maintenant de ces images freudiennes pour "expliquer" avec leur aide des symptômes pathologiques" (dans Remarques mêlées).

 Pour Thomas d'Aquinle mal est une absence de bien, privatio boni, il dérive d'une perversion du bien. Nous faisons le mal parce que nous désirons le bien, et nous recherchons le bien de mauvaise façon. Le désir qui s'oriente vers le mal ne peut être qu'une perversion du désir, et celui qui convoite le mal le fait à cause d'un défaut, d'un manque dans sa capacité de désirer, une sorte d'infirmité. Pourquoi le mal serait-il donc nécessaire? D'abord, à cause de la constitution de l'homme comme créature, ensuite pour mettre mieux en évidence le bien. Si chaque objet est connu par rapport à son contraire, alors, s'il n'y avait pas de mal, le bien serait connu de façon moins déterminée, et par conséquent serait désiré avec moins d'ardeur. Si le bien doit être reconnu avant d'être désiré, il peut être reconnu avec plus de précision en étant mis en rapport avec le mal. En ce sens, le mal devient une occasion de bien. Jusqu'à la fin du XVIIIe, la poursuite du bonheur était quelque chose attaché au concept de bien, et aussi le ressort évident de toute action humaine. Pour les Stoïciens le bonheur ou le vrai bien découle directement de la vertu rationnelle -ne pas désirer, c'est être libre. L'adversité n'est pas dans les choses, mais dans le désir qui nous met en conflit avec les choses. C'est dans L'Ethique à Nicomaque que nous pouvons trouver une analyse rigoureuse du lien entre le bonheur et le souverain bien. En observant que "tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d'être heureux", Aristote réfute toutes les positions visant à réduire le bonheur au plaisir, à la richesse, aux honneurs. Pour lui, le bonheur n'est jamais désirable en vue d'autre chose, il est toujours une activité menée conformément à la raison et en accord avec la vertu. En même temps, ce n'est que l'intellect qui délibère, car il permet non seulement d'expliquer une action, mais aussi de la justifier d'un point de vue éthique. D'où l'importance de la sagesse ou de la prudence, qui est pour lui "une disposition accompagnée de règle vraie, capable d'agir dans la sphère de ce qui est bien ou mal pour les êtres humains" (Ethique à Nicomaque, 1143 B 3-4). L'activité propre de l'homme réside dans l'activité de l'âme conforme à la raison, c'est-à-dire à la vertu. C'est pour cette raison que bonheur et vertu sont identifiés: si l'homme réalise son excellence par la vertu, si c'est par elle qu'il atteint sa fin propre, alors c'est elle qui doit être qualifiée de souverain bien. 

Pour Spinoza, qui recherche le Souverain Bien capable de se communiquer, le bonheur n'est pas la récompense de la vertu, il est la vertu elle-même. Selon le philosophe, les religions doivent être tolérées mais soumises à la puissance publique.

« Les pratiques ferventes et religieuses devront se mettre en accord avec l’intérêt public, autrement dit si certaines de leurs expressions sont susceptibles de nuire au bien commun, il faudra les interdire. » « Je déclare l’homme d’autant plus en possession d’une pleine liberté qu’il se laisse guider par la raison. » (Traité théologico-politique, 1670). Un siècle avant Voltaire et Kant, Spinoza est le premier théoricien de la séparation des pouvoirs politique et religieux et le premier penseur moderne de nos démocraties libérales. Il n’est pas athée, bien sûr, mais il ne croit pas au Dieu révélé de la Bible. Pour lui, Dieu est un Etre infini, véritable principe de raison, de sagesse philosophique. Il propose un dépassement de toutes les religions par la sagesse philosophique qui conduit à l’amour intellectuel de Dieu, source de Joie et de Béatitude. Il souhaiterait que les lumières de la raison permettent aux humains de découvrir Dieu et ses lois sans le secours de la loi religieuse et de tous les dogmes qui l’accompagnent, qu’il considère comme des représentations puériles, sources de tous les abus de pouvoir possibles, la religion correspondant à un stade infantile de l'humanité. 

La conception spinoziste de Dieu est totalement immanente: il n’y a pas un Dieu antérieur et extérieur au monde, qui a créé le monde (vision transcendante), mais de toute éternité, tout est en Dieu et Dieu est en tout à travers des attributs qui génèrent une infinité de modes singuliers, d’êtres, de choses, d’idées. Deus sive Natura. L’éthique immanente du bon et du mauvais remplace ainsi la morale transcendante et irrationnelle du bien et du mal. La Joie parfaite ou la Béatitude, est le fruit d’une connaissance à la fois rationnelle et intuitive qui s’épanouit dans un amour universel, fruit de l’esprit, un amour intellectuel de Dieu. Il y a trois genres de connaissances : l’opinion et l’imagination, qui nous maintiennent dans la servitude, la raison, qui nous permet de nous connaître et d’ordonner nos affects, et un troisième, en prolongement du deuxième, l’intuition, par laquelle nous arrivons à l’adéquation entre notre monde intérieur et le cosmos entier. « Plus on est capable de ce genre de connaissance, plus on est conscient de soi-même et de Dieu, c’est-à-dire plus on est parfait et heureux » (Ethique). Donc, union à un Dieu immanent par la raison et l’intuition. « L’homme vertueux n’est plus celui qui obéit à la loi morale et religieuse, mais celui qui discerne ce qui augmente sa puissance d’agir ». Et c'est justement la libération de la servitude qui augmente notre puissance d’agir et notre joie. Plus nos sentiments et nos émotions seront réglés par la raison, plus nos passions seront transformées en actions, plus grande sera la part de notre esprit qui subsistera à la destruction du corps. La liberté s’oppose à la contrainte, mais non à la nécessité. On est d’autant plus libres qu’on est moins contraints par les causes extérieures et qu’on comprend la nécessité des lois de la Nature qui nous déterminent.

On comprend pourquoi Nietzsche, qui n'aura de cesse de déconstruire les catégories morales transcendantes du bien et du mal établies par la morale chrétienne, puis par Kant, jubilera en découvrant la pensée de Spinoza: "Je suis très étonné, ravi! J'ai un précurseur, et quel précurseur!" (Frédéric Lenoir, Le Miracle Spinoza). Nietzsche fulmine contre l'Eglise chrétienne: "Elle est pour moi la plus haute des corruptions concevables (...), de chaque valeur elle a fait une non-valeur, de chaque vérité un mensonge, de chaque rectitude une bassesse." (Jacques Duquesne, Le Diable)

 

Références 

Archives blogs

 

 

01/04/2021

Hubert REEVES/Livre

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L'astrophysicien a écrit ce livre en 1990 et il l'a dédié à ceux qui sont épris de science et de poésie. Dans les 184 pages de texte auxquelles s’ajoutent les Notes et les Appendices rigoureux, l’auteur pose la question des rapports entre la science et la culture : en quoi les connaissances nouvelles sont susceptibles d’affecter le regard que nous portons sur notre activité humaine, quelles sont les relations entre la science et la poésie, la science et la liberté, la science et la création artistique, la science et l’activité juridique, la science et la religion. Tout est examiné dans une perspective historique, car la vision du monde évolue. Le fait que l’homme ait pris connaissance de l’immensité de l’univers a affecté tous les modes de la pensée et de l’activité humaine. Au début du XXe siècle, l’observation des galaxies a amené la découverte la plus importante de la science contemporaine : notre univers a une histoire ! L’auteur nous parle aussi beaucoup de jeux, de leur rôle dans la complexité cosmique mais aussi dans l’être humain, comme des espaces de liberté. 

J’ai choisi de vous partager cette lecture, et, comme souvent, la meilleure manière sera de laisser parler le texte le plus possible. L’auteur a répertorié des thèmes de prédilection et a regroupé des textes se rattachant à ces thèmes. Il nous fait part des réflexions nées autour de ses promenades dans la campagne de Puisaye, où se trouve le petit village de Malicorne.

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01/07/2015

Le mal du siècle

Our solar system.png(Photo Web: Our solar system)

 

Ou « Dieu est grand ». Un article publié il y a quelques jours dans The Guardian observe que le sadisme du groupe terroriste appelé Etat islamique ne peut être expliqué uniquement par la politique, mais il vient de quelque chose de plus profond et de plus obscur. En ’45, Hannah Arendt écrivait : «Le problème du mal sera la question fondamentale de la vie intellectuelle de l’après-guerre, en Europe». Elle voulait dire que, après l’Holocauste, quand les Européens ont vu de quoi ils avaient été capables, le problème dominant serait de comprendre comment une telle horreur avait été possible. La question du mal est devenue un défi particulier pour les croyants –comment croire en un Dieu bienveillant et tout-puissant, quand le monde peut contenir une telle perversité ? Nous constatons que «le problème du mal», loin d’être une question historique, concerne le moment présent, celui que nous vivons. Il ne représente pas un défi pour les seuls croyants, mais interroge l’humain en nous. Comment tant de cruauté est-elle possible ? Il y a toujours des explications fournies pour ces événements –héritage historique, forces géopolitiques, facteurs locaux. Elles sont pertinentes, mais elles ne répondent pas à ce qui est le cœur du problème : comment l’horreur est-elle possible ? Si nous pensons que les humains sont des créatures féroces et cruelles innées, qui trouvent du plaisir à infliger une souffrance à autrui, alors aucune surprise que les gens d’ISIS/Daesh accumulent les atrocités et font du sadisme un sport de compétition. Mais si nous avons une vue différente des humains et de leur capacité à éprouver de l’amour et de l’empathie, alors le problème du mal persiste.

Nous pouvons retourner à la psychologie et suggérer et espérer que les humains derrière les atrocités récentes sont des individus malades, profondément atteints. Ou bien, si nous décidons qu’ils sont sains, nous pouvons nous tourner vers la psychologie de groupe. On se souvient que les expériences de Milgram sur l’obéissance ont montré que la volonté d’un homme à infliger une souffrance à l’autre durait aussi longtemps que l’autorité dans laquelle il avait confiance le lui demandait. (Les observations de Milgram portent sur les situations d'obéissance de la vie quotidienne jusqu'aux grands événements de notre histoire, comme la Seconde Guerre mondiale. Sa conclusion est que ceux qui se soumettent aveuglément aux exigences de l'autorité ne peuvent prétendre au statut d'hommes civilisés. L’individu  se maintient dans un état "agentique" -agent qui exécute une volonté étrangère- aussi longtemps qu'il n'y a pas de tension, laquelle est le signe de désapprobation à un ordre de l'autorité. Il va essayer de baisser la tension, par certaines réactions, mais il arrivera à la désobéissance finale seulement lorsqu'il ne pourra plus faire diminuer le niveau de tension. Or, là, c'est une affaire de conscience individuelle.)

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