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01/04/2023

Intelligence humaine vs Intelligence artificielle

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(Photo- Magnolia à Nice)

Une simple recherche sur Google nous apprend que ChatGPT (Generated Pretrained Transformer) est une application de l’Open AI, entreprise spécialisée dans le raisonnement artificiel, et qu’elle est issue en novembre 2022. Il existe la version 3 et bientôt 4. Il s’agit d’un modèle de langage de pointe qui peut générer du texte de manière autonome en utilisant des algorithmes d’apprentissage automatique, à savoir des résumés, des traductions automatiques ou de la reconnaissance de la langue. Néanmoins, elle n’est pas infaillible, elle peut générer des erreurs, des informations incomplètes ou fausses, des réponses imprécises. Plusieurs articles de presse en ont parlé. Par exemple, l’application a été utilisée pour poser un diagnostic médical, or les informations et les données introduites n’ont pas suffi pour que le diagnostic soit correct, il fallait savoir interpréter certaines données dans un contexte spécifique, personnel, ce que seul un médecin humain pouvait faire. Bien entendu, il n’y a pas que le ChatGPT, il y a d’autres IA dans le monde, qui mentent, qui font du plagiat, ou qui hallucinent. Il ne faudra surtout pas sous-estimer le danger des IA utilisées par les cybercriminels : des contenus qui désinforment, des images fausses, générées par l’ordinateur, des publics manipulés.

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01/11/2021

Ethique et religion?

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(Photo- L'automne au bord du Danube, Galatzi)

Wittgenstein avait présenté sa Conférence sur l’éthique devant un public de non-philosophes. Selon lui, l'éthique se pense toujours dans un contexte et dans des pratiques déterminées, elle ne saurait être une théorie, mais aurait un caractère intrinsèquement personnel. L'analyse détaillée des aspects physiques et psychologiques de nos actions ne nous révélera jamais ce qui les lie à l'éthique, mais c'est notre attitude vis-à-vis de ces actions qui les rend éthiques, plus exactement la manière dont nous arrivons à nous extraire des faits pour les contempler comme d'un point de vue extérieur. Il dit, par exemple, que lorsque quelqu'un face à une décision importante se demande "Que dois-je faire?", le sérieux de cette question est "éthique" parce qu'il se distingue d'autres types de choix. Donc, l'éthique est dans l'attitude du sujet qui expérimente et qui éprouve. Le monde de l'homme heureux n'est pas le même que le monde de l'homme malheureux, bien que les faits qui le constituent soient identiques, c'est le regard qui change, la volonté à l'égard de ce monde qui est différente, mais pas le monde lui-même. En voulant exprimer l'inexprimable (tout comme la religion ou l'esthétique), l'éthique se confronte aux limites du langage, elle ne peut pas s'énoncer sous la forme de propositions douées de sens, mais elle peut se montrer à travers des expériences qui la révèlent dans son authenticité. Wittgenstein ne méprise pas les polars, cette littérature "mineure" où il dit trouver des exemples d'expériences éthiques souvent plus profondes que celles présentes dans les ouvrages de philosophie.

Il y a dix ans, lors de l’affaire DSK, France 3 a diffusé un documentaire (DSK, l’homme qui voulait tout), réalisé par un psychanalyste très médiatique et aussi très à gauche, et dont l’intention affirmée était de proposer un regard freudien. Je n'avais regardé qu’un quart d’heure de ce documentaire, pas plus. Un regard freudien signifie pour moi quelque chose d'implacable et de sentencieux, je ne m'attendais donc pas que le documentaire fût joyeux, mais la démarche allait subtilement dans le sens d'une justification finalement logique (et que j'avais trouvée assez politique). C'est toujours Wittgenstein qui écrit, à une époque où il n'admirait plus la psychanalyse, que "les pseudo-explications fantastiques de Freud (justement parce qu'elles sont pleines d'esprit) ont rendu un mauvais service, n'importe quel âne disposant maintenant de ces images freudiennes pour "expliquer" avec leur aide des symptômes pathologiques" (dans Remarques mêlées).

 Pour Thomas d'Aquinle mal est une absence de bien, privatio boni, il dérive d'une perversion du bien. Nous faisons le mal parce que nous désirons le bien, et nous recherchons le bien de mauvaise façon. Le désir qui s'oriente vers le mal ne peut être qu'une perversion du désir, et celui qui convoite le mal le fait à cause d'un défaut, d'un manque dans sa capacité de désirer, une sorte d'infirmité. Pourquoi le mal serait-il donc nécessaire? D'abord, à cause de la constitution de l'homme comme créature, ensuite pour mettre mieux en évidence le bien. Si chaque objet est connu par rapport à son contraire, alors, s'il n'y avait pas de mal, le bien serait connu de façon moins déterminée, et par conséquent serait désiré avec moins d'ardeur. Si le bien doit être reconnu avant d'être désiré, il peut être reconnu avec plus de précision en étant mis en rapport avec le mal. En ce sens, le mal devient une occasion de bien. Jusqu'à la fin du XVIIIe, la poursuite du bonheur était quelque chose attaché au concept de bien, et aussi le ressort évident de toute action humaine. Pour les Stoïciens le bonheur ou le vrai bien découle directement de la vertu rationnelle -ne pas désirer, c'est être libre. L'adversité n'est pas dans les choses, mais dans le désir qui nous met en conflit avec les choses. C'est dans L'Ethique à Nicomaque que nous pouvons trouver une analyse rigoureuse du lien entre le bonheur et le souverain bien. En observant que "tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d'être heureux", Aristote réfute toutes les positions visant à réduire le bonheur au plaisir, à la richesse, aux honneurs. Pour lui, le bonheur n'est jamais désirable en vue d'autre chose, il est toujours une activité menée conformément à la raison et en accord avec la vertu. En même temps, ce n'est que l'intellect qui délibère, car il permet non seulement d'expliquer une action, mais aussi de la justifier d'un point de vue éthique. D'où l'importance de la sagesse ou de la prudence, qui est pour lui "une disposition accompagnée de règle vraie, capable d'agir dans la sphère de ce qui est bien ou mal pour les êtres humains" (Ethique à Nicomaque, 1143 B 3-4). L'activité propre de l'homme réside dans l'activité de l'âme conforme à la raison, c'est-à-dire à la vertu. C'est pour cette raison que bonheur et vertu sont identifiés: si l'homme réalise son excellence par la vertu, si c'est par elle qu'il atteint sa fin propre, alors c'est elle qui doit être qualifiée de souverain bien. 

Pour Spinoza, qui recherche le Souverain Bien capable de se communiquer, le bonheur n'est pas la récompense de la vertu, il est la vertu elle-même. Selon le philosophe, les religions doivent être tolérées mais soumises à la puissance publique.

« Les pratiques ferventes et religieuses devront se mettre en accord avec l’intérêt public, autrement dit si certaines de leurs expressions sont susceptibles de nuire au bien commun, il faudra les interdire. » « Je déclare l’homme d’autant plus en possession d’une pleine liberté qu’il se laisse guider par la raison. » (Traité théologico-politique, 1670). Un siècle avant Voltaire et Kant, Spinoza est le premier théoricien de la séparation des pouvoirs politique et religieux et le premier penseur moderne de nos démocraties libérales. Il n’est pas athée, bien sûr, mais il ne croit pas au Dieu révélé de la Bible. Pour lui, Dieu est un Etre infini, véritable principe de raison, de sagesse philosophique. Il propose un dépassement de toutes les religions par la sagesse philosophique qui conduit à l’amour intellectuel de Dieu, source de Joie et de Béatitude. Il souhaiterait que les lumières de la raison permettent aux humains de découvrir Dieu et ses lois sans le secours de la loi religieuse et de tous les dogmes qui l’accompagnent, qu’il considère comme des représentations puériles, sources de tous les abus de pouvoir possibles, la religion correspondant à un stade infantile de l'humanité. 

La conception spinoziste de Dieu est totalement immanente: il n’y a pas un Dieu antérieur et extérieur au monde, qui a créé le monde (vision transcendante), mais de toute éternité, tout est en Dieu et Dieu est en tout à travers des attributs qui génèrent une infinité de modes singuliers, d’êtres, de choses, d’idées. Deus sive Natura. L’éthique immanente du bon et du mauvais remplace ainsi la morale transcendante et irrationnelle du bien et du mal. La Joie parfaite ou la Béatitude, est le fruit d’une connaissance à la fois rationnelle et intuitive qui s’épanouit dans un amour universel, fruit de l’esprit, un amour intellectuel de Dieu. Il y a trois genres de connaissances : l’opinion et l’imagination, qui nous maintiennent dans la servitude, la raison, qui nous permet de nous connaître et d’ordonner nos affects, et un troisième, en prolongement du deuxième, l’intuition, par laquelle nous arrivons à l’adéquation entre notre monde intérieur et le cosmos entier. « Plus on est capable de ce genre de connaissance, plus on est conscient de soi-même et de Dieu, c’est-à-dire plus on est parfait et heureux » (Ethique). Donc, union à un Dieu immanent par la raison et l’intuition. « L’homme vertueux n’est plus celui qui obéit à la loi morale et religieuse, mais celui qui discerne ce qui augmente sa puissance d’agir ». Et c'est justement la libération de la servitude qui augmente notre puissance d’agir et notre joie. Plus nos sentiments et nos émotions seront réglés par la raison, plus nos passions seront transformées en actions, plus grande sera la part de notre esprit qui subsistera à la destruction du corps. La liberté s’oppose à la contrainte, mais non à la nécessité. On est d’autant plus libres qu’on est moins contraints par les causes extérieures et qu’on comprend la nécessité des lois de la Nature qui nous déterminent.

On comprend pourquoi Nietzsche, qui n'aura de cesse de déconstruire les catégories morales transcendantes du bien et du mal établies par la morale chrétienne, puis par Kant, jubilera en découvrant la pensée de Spinoza: "Je suis très étonné, ravi! J'ai un précurseur, et quel précurseur!" (Frédéric Lenoir, Le Miracle Spinoza). Nietzsche fulmine contre l'Eglise chrétienne: "Elle est pour moi la plus haute des corruptions concevables (...), de chaque valeur elle a fait une non-valeur, de chaque vérité un mensonge, de chaque rectitude une bassesse." (Jacques Duquesne, Le Diable)

 

Références 

Archives blogs

 

 

07/02/2016

"Les idéologies portatives"

DSC_1526.JPG(Photo- Immeuble à Nice)

« Tout ce que le philosophe peut faire, c’est détruire les idoles. Et cela ne signifie pas en forger de nouvelles. » C’est avec cette citation de Wittgenstein que s’ouvre l’essai  intitulé Le bluff éthique, Editions Flammarion, 2008, de Frédéric Schiffter. L’auteur se propose de démystifier « les blablas » éthiques, celles qui, tout comme les blablas métaphysiques offrent aux hommes des recettes « vagues, sibyllines, ronflantes, lénifiantes, et, parfois, suffisamment bien tournées pour les bluffer, les impressionner en leur laissant le sentiment d’entrevoir quelque chose de fondamental quant à leur prétendu être » (….), celles qui  leur promettent parfois « une humanité digne, heureuse, authentique, à laquelle, moyennant un «  travail » sur eux-mêmes, ils auraient le droit et le devoir d’accéder ». « Nul, parmi les humains, ne croit que l’un d’entre eux, fût-il le plus avisé, détient le savoir de la vie meilleure, heureuse, joyeuse, ou plus humaine, et les règles qu’il conviendrait de se prescrire pour y atteindre, mais nul ne veut l’admettre.(…) Or, c’est bien parce que la science objective et raisonnable de la vie heureuse n’existe pas, que circulent les croyances éthiques soutenues avec plus ou moins de force persuasive par des discours verbeux auxquels les humains, toujours déçus, aiment à donner valeur de savoir mais sans jamais y croire. Cette mauvaise foi éthique ou, si l’on préfère, cette impossibilité de croire en quelque chose qui conduirait à une vie supérieure, s’explique par le fait que les humains suivent, « entre le naître et le mourir », dixit Montaigne, un parcours semé d’impondérables. Sachant, donc, pour en vivre l’expérience à chaque instant, que rien ne leur est assuré, tôt ou tard, que le néant, nulle proposition éthique ne les convainc bien longtemps. Selon les circonstances ou les périodes de leur existence, la vertu aristotélicienne peut les séduire autant que le souverain bien épicurien, l’impassibilité stoïcienne, le détachement bouddhiste, l’engagement sartrien, l’altruisme levinassien, l’humanitarisme bénévole. S’accrochent-ils pour un temps, même avec ferveur, à l’un de ces projets ou de ces idéaux, ils peuvent très facilement s’en déprendre ou les renier pour un épouser un autre. Les fins éthiques, ni plus ni moins que les autres croyances, ne supposent en rien la fidélité de leurs adeptes. »  Si les humains peuvent comprendre intellectuellement que le bonheur, la justice, la vertu, etc.., ne sont que des fictions verbales (des « jeux de langage » comme dit Wittgenstein), il leur est impossible psychologiquement de supprimer en eux le désir d’y croire, et cela parce qu’ils sont également enclins à la crainte comme à l’espérance, les deux ressorts affectifs de l’éthique. En d’autres mots, il faudrait qu’ils n’aient plus la certitude effrayante de mourir. « Vivant ici ou là, sous tel ou tel climat, dans telles ou telles formes sociales changeantes, à telle ou telle époque, à la surface d’une planète fragile flottant dans une région perdue de l’espace infini en perpétuelle mutation, et, enfin, destinés, comme tout ce qui les entoure, à mourir, les humains savent bien qu’ils ne vivent pas dans un monde, que la somme de leurs passions ne fait pas l’Homme et que nul logos divin ou cosmique n’ordonna, n’ordonne et n’ordonnera jamais le réel. Seulement, ce savoir intuitif, charnel même, que Miguel de Unamuno appelait « le sentiment tragique de la vie », est une douleur. Refoulé chez le plus grand nombre, il génère un pessimisme malheureux consistant à déplorer que le monde soit « mal fait » -toujours inadéquat à ce qu’on attend-, contraire à un pessimisme heureux, cultivé, quant à lui, par un petit nombre, consistant à s’arranger de l’évidence que, n’étant « ni fait ni à faire », le « monde » n’a pas vocation à satisfaire les désirs humains. Or, c’est du pessimisme malheureux, du sentiment que le monde est mal fait, que surgit le désir optimiste de l’améliorer, de le modifier, de le transformer soit dans l’ensemble, soit dans le détail, à commencer par les humains (…) Les humains ressentent-ils le dérisoire de leur présence au sein d’un univers où les étoiles meurent comme des mouches ? Font-ils  l’expérience du chaos, du choc des passions, de l’incompatibilité des névroses, de leur goût du carnage, du temps qui les ravage, de leurs plaisirs vite épuisés, de l’ennui, de l’esseulement, de l’incommunicabilité de leurs désirs, de la dépression, de l’échec, de l’usure, de la maladie, de la déchéance, de la mort qui les guette en embuscade ? C’est bien sûr à cet insoutenable sentiment du rien que disent remédier les notions lénifiantes de "monde ", de "nature ", d’ "être", d’ "harmonie", de "spiritualité", d’ "amour", de "liberté", de "vertu", d’ "amitié", de "justice", de "paix", de "raison", de "bonne volonté", de "bonheur", de "béatitude", de "réalisation de soi", de "sagesse", d’ "altruisme" , d’ "engagement", etc. ».

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22/01/2016

Psychologie et mythologie

psychologie,mythologie,jung,freud,diel,symbole,psyché,éthique,action,intention,désir(Photo: Fèves de la Galette des Rois)

J’ai lu dans The Guardian un court article expliquant que, d’après les chercheurs, les contes de fées remonteraient à plusieurs millénaires. Ce n’est pas cette « découverte » qui a retenu mon attention (les lettres, c’est mon domaine d’expertise), mais le fait que l’article ait été partagé plus de 22.000 fois. Je pense que les lecteurs ont été séduits par un aspect qui évoque l’imaginaire ancestral, et qui représente, après tout, une vérité d’ordre psychologique. Jerome Bruner, l’un des fondateurs de la psychologie cognitive (et qui prend ses distances avec elle), montre que le récit est l’une des formes les plus universelles et les plus puissantes du discours et de la communication humaine. Notre esprit fonctionne comme un mécanisme narratif, le récit sous-tend toute notre existence, sa forme narrative est liée à l’entrée dans la culture. « Lorsque j’ai commencé mes recherches en psychologie, le béhaviorisme régnait en maître sur la psychologie. La méthode scientifique dominante consistait à étudier des rats dans les laboratoires pour comprendre des fonctions psychiques isolées : perception, apprentissage et mémoire. Mais ce qui m’intéressait en tant que psychologue, ce n’était pas les rats de laboratoire, mais les êtres humains. Je voulais comprendre comment les humains forgent une culture, créent des idées, des pensées, des univers mentaux. Or l’exploration des états mentaux des êtres humains -leurs rêves, leurs imaginations, leurs cultures -, je la trouvais plus dans la littérature, la poésie, le théâtre que dans la psychologie » (dans Les Nouveaux Psys, Editions des Arènes, 2008). On se souvient bien que Freud et Jung étaient d'excellents connaisseurs des lettres classiques et modernes, de l’art, de la philosophie.

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