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01/06/2015

La pensée positive et le progrès

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(Photos Nice: les cactus en mai)
 
Un article publié récemment sur le site Alternet explique pourquoi la manie de l'espoir est une partie de l'endoctrinement corporatiste, et pourquoi la croyance que nous nous dirigeons vers un futur glorieux défie la réalité. Quelle serait donc la signification du progrès? Plus loin, un aperçu de cet article qui peut être lu ICI.

L’histoire n’est pas linéaire, et l’idée que le progrès moral accompagne le progrès technique est une forme d’illusion collective qui nous paralyse dans nos actions et nous donne un faux sentiment de sécurité. En fait, on assiste à la montée du totalitarisme, étayé par l’appareil de sécurité et de surveillance le plus terrifiant de l’histoire humaine. Un théoricien du XIX e, Jean-Louis Blanqui, prévoyait que le progrès scientifique et technologique, plutôt que d’annoncer le progrès, pourrait devenir une arme terrible entre les mains du capital contre le travail et la réflexion. Le progrès ne peut être tenu pour acquis, l’humanité peut revenir en arrière. La sagesse et la connaissance ne sont pas la même chose. La connaissance traite du réel et du particulier, c’est le domaine de la science et de la technologie, tandis que la sagesse traite de la transcendance, elle nous permet de voir et d’accepter la réalité, dans ce qu’elle a d’absurde et de désordonné. Elle n’est pas liée au progrès, et à travers les âges, elle est une constante : L’Ecclésiaste, Homère, Sophocle, Dante, Shakespeare, Beckett ont un trait commun: le pouvoir profond de l’observation de la vie.


Pour le pouvoir, la sagesse est une menace du fait qu’elle expose les mensonges et les idéologies que le pouvoir utilise pour maintenir ses privilèges. La connaissance ne conduit pas à la sagesse, en restant le plus souvent un outil de répression. Elle donne une fausse unité à la réalité, elle crée une mémoire collective fictive et narrative, elle fabrique des concepts abstraits, tels l’honneur, la gloire, l’héroïsme, le devoir, qui étayent le pouvoir de l’Etat et alimentent la maladie du nationalisme, en appelant à l’obéissance aveugle au nom du patriotisme. Les mythes que notre enthousiasme collectif crée favorisent un espoir fictif et de faux sentiments de supériorité, par lesquels nous nous rendons hommage à nous-mêmes. La sagesse nous connecte aux forces qui se trouvent aux confins du monde rationnel, et qui ne peuvent être mesurées empiriquement. Etre sage, c’est rendre hommage à la beauté, à la vérité, à la souffrance, à la brièveté de la vie, à notre mortalité, à l’amour, au mystère de l’existence. C’est-à-dire, au sacré. On peut rester piégé dans les dogmes entretenus par la connaissance et la technologie qui croient à l’inévitable progrès humain, et dans ce cas-là, on n’est que des savants idiots. Selon le philosophe John Gray, la conscience de soi peut être un handicap tout aussi bien qu’une force. Le meilleur ouvrier ne sait pas toujours comment il fonctionne, le meilleur pianiste non plus, le plus souvent nous sommes au mieux de nos habiletés quand nous en sommes moins conscients. Les oeuvres d’art ou les oeuvres philosophiques sont le produit de l’intuition, des méandres de la psyché transcendant ceux construits par l’esprit conscient, laborieux. Ceux qui ont le pouvoir ont toujours manipulé la réalité et créé des idéologies définies comme un progrès. Au Moyen Age -les rois et les autorités religieuses. De nos jours, les prêtres de la modernité déforment la réalité - technocrates, scientifiques, politiciens, journalistes, économistes. Stefan Zweig mettait en garde contre les spécialisations qui créent des technocrates incapables de remettre en question les systèmes qu’ils desservent, ainsi qu’une société qui les vénère bêtement. Son personnage, champion d’échec, est un monomaniaque qui investit toute son énergie mentale dans les 64 cases de l’échiquier. Une planète dirigée par des technocrates serait un danger absolu. En tant que spécialistes (bureaucrates), les êtres humains deviennent des outils, capables de faire que les systèmes d’exploitation et la terreur fonctionnent efficacement, sans le moindre sens de responsabilité personnelle ou de compréhension. Ils se retirent dans le langage des spécialistes, pour masquer ce qu’ils sont et donner au travail une apparence clinique, aseptisée. Les êtres humains technocratiques sont morts spirituellement. Hannah Arendt le formule très bien à propos d‘Eichmann, avec qui aucune communication n’était possible, non parce qu’il mentait, mais parce qu’il disposait des plus crédibles protections contre les mots et la présence des autres. L’espoir peut être une forme d’impuissance. Il faudra apprendre à parler différemment et à abandonner le vocabulaire des technocrates « rationnels » qui gouvernent. De nouveaux mots et de nouvelles idées permettraient de percevoir et d’expliquer la réalité, et de se délivrer du capitalisme néolibéral qui fonctionne comme une religion d’Etat. Il n’y a pas de forces divines ou techniques qui garantissent un meilleur avenir, il faudra abandonner les faux espoirs et regarder la nature humaine et l’histoire telles qu’elles sont, en acceptant que le progrès n’est pas prédestiné. 

A propos (Extraits littéraires): Epictète, Du contentement intérieur, Gallimard, Folio Sagesses
"Où donc est le progrès? Si l'un de vous, se détournant des objets extérieurs, a concentré ses efforts sur sa propre personne; s'il la travaille, s'il l'exerce, de façon à la mettre en harmonie avec la nature, à l'élever, à la rendre libre, exempte d'entraves et d'obstacles, loyale et réservée; s'il a compris que quiconque désire ou fuit les choses qui ne dépendent pas de lui ne peut être ni loyal ni libre, mais change nécessairement et tourne lui aussi avec ses choses, comme le vent, et qu'ainsi nécessairement il s'est placé lui-même sous la domination des autres, de ceux qui peuvent procurer ou empêcher tout cela; bref, si quand il se lève le matin, il observe et garde ces préceptes, s'il se baigne comme un homme loyal et réservé, s'il mange de même, mettant en pratique, quelles que soient les circonstances qui se présentent, les principes qui le guident, comme le coureur s'applique à la course et le déclamateur à son art, voilà en toute vérité l'homme qui progresse, voilà l'homme qui ne s'est pas expatrié en vain! Mais si tous ses efforts sont tournés vers l'acquisition de ce qui est dans les livres; si c'est pour cela qu'il peine et pour cela qu'il a quitté son pays, je lui dis de rentrer chez lui tout de suite et de ne pas négliger là-bas ses propres affaires, car ce pour quoi il s'est expatrié n'en vaut pas la peine." (Sur le progrès) 
 
"Voyez que vous vous effrayez sans motif, que vous désirez vainement ce que vous désirez. Ne cherchez pas les biens au-dehors, cherchez-les en vous-mêmes, sans quoi vous ne les trouverez pas."(Qu'il ne faut pas s'émouvoir de ce qui ne dépend pas de nous)

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