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07/03/2016

Le courage de changer (1)

DSC_1632.JPGJe souhaiterais partager un livre sur le désir et la nécessité de changer, publié en 1999 aux Editions Mondadori sous le titre Il coraggio di cambiare, et dont les auteurs sont un professeur de psychiatrie et un psychologue (Willy Pasini, Donata Francescato, Le Courage de changer, Editions Odile Jacob, 2001).

Il existe des facteurs internes et externes qui favorisent ou freinent le changement que nous souhaitons ou dont nous avons besoin pour nous renouveler. Notre attitude face au changement dépend de notre histoire familiale, des changements qui sont intervenus dans la vie de nos parents, de notre estime de soi et de notre confiance en nous-mêmes. Elle dépend du milieu dans lequel nous vivons, mais aussi de notre environnement social et culturel. Outre les différents sentiments qui peuvent nous animer, ce sont les styles de changement qui varient d’une personne à l’autre. Certains estiment contrôler leur vie: ils projettent, ils planifient, dans l’idée qu’ils ont le pouvoir de décider des événements. A l’opposé, on trouve les fatalistes, qui croient à la chance ou à la malchance, et qui sont persuadés qu’on ne peut agir sur le destin. Et puis, il y a les situations limites, quand le désir d’être l’artisan de sa propre vie se transforme en un délire de puissance, en un besoin obsessionnel et frénétique de contrôler tout et tout le monde, ou bien quand une trop grande passivité conduit à l’irresponsabilité, à l’incapacité à agir, à la résignation et, en dernier ressort, à la paralysie. 

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07/02/2016

"Les idéologies portatives"

DSC_1526.JPG(Photo- Immeuble à Nice)

« Tout ce que le philosophe peut faire, c’est détruire les idoles. Et cela ne signifie pas en forger de nouvelles. » C’est avec cette citation de Wittgenstein que s’ouvre l’essai  intitulé Le bluff éthique, Editions Flammarion, 2008, de Frédéric Schiffter. L’auteur se propose de démystifier « les blablas » éthiques, celles qui, tout comme les blablas métaphysiques offrent aux hommes des recettes « vagues, sibyllines, ronflantes, lénifiantes, et, parfois, suffisamment bien tournées pour les bluffer, les impressionner en leur laissant le sentiment d’entrevoir quelque chose de fondamental quant à leur prétendu être » (….), celles qui  leur promettent parfois « une humanité digne, heureuse, authentique, à laquelle, moyennant un «  travail » sur eux-mêmes, ils auraient le droit et le devoir d’accéder ». « Nul, parmi les humains, ne croit que l’un d’entre eux, fût-il le plus avisé, détient le savoir de la vie meilleure, heureuse, joyeuse, ou plus humaine, et les règles qu’il conviendrait de se prescrire pour y atteindre, mais nul ne veut l’admettre.(…) Or, c’est bien parce que la science objective et raisonnable de la vie heureuse n’existe pas, que circulent les croyances éthiques soutenues avec plus ou moins de force persuasive par des discours verbeux auxquels les humains, toujours déçus, aiment à donner valeur de savoir mais sans jamais y croire. Cette mauvaise foi éthique ou, si l’on préfère, cette impossibilité de croire en quelque chose qui conduirait à une vie supérieure, s’explique par le fait que les humains suivent, « entre le naître et le mourir », dixit Montaigne, un parcours semé d’impondérables. Sachant, donc, pour en vivre l’expérience à chaque instant, que rien ne leur est assuré, tôt ou tard, que le néant, nulle proposition éthique ne les convainc bien longtemps. Selon les circonstances ou les périodes de leur existence, la vertu aristotélicienne peut les séduire autant que le souverain bien épicurien, l’impassibilité stoïcienne, le détachement bouddhiste, l’engagement sartrien, l’altruisme levinassien, l’humanitarisme bénévole. S’accrochent-ils pour un temps, même avec ferveur, à l’un de ces projets ou de ces idéaux, ils peuvent très facilement s’en déprendre ou les renier pour un épouser un autre. Les fins éthiques, ni plus ni moins que les autres croyances, ne supposent en rien la fidélité de leurs adeptes. »  Si les humains peuvent comprendre intellectuellement que le bonheur, la justice, la vertu, etc.., ne sont que des fictions verbales (des « jeux de langage » comme dit Wittgenstein), il leur est impossible psychologiquement de supprimer en eux le désir d’y croire, et cela parce qu’ils sont également enclins à la crainte comme à l’espérance, les deux ressorts affectifs de l’éthique. En d’autres mots, il faudrait qu’ils n’aient plus la certitude effrayante de mourir. « Vivant ici ou là, sous tel ou tel climat, dans telles ou telles formes sociales changeantes, à telle ou telle époque, à la surface d’une planète fragile flottant dans une région perdue de l’espace infini en perpétuelle mutation, et, enfin, destinés, comme tout ce qui les entoure, à mourir, les humains savent bien qu’ils ne vivent pas dans un monde, que la somme de leurs passions ne fait pas l’Homme et que nul logos divin ou cosmique n’ordonna, n’ordonne et n’ordonnera jamais le réel. Seulement, ce savoir intuitif, charnel même, que Miguel de Unamuno appelait « le sentiment tragique de la vie », est une douleur. Refoulé chez le plus grand nombre, il génère un pessimisme malheureux consistant à déplorer que le monde soit « mal fait » -toujours inadéquat à ce qu’on attend-, contraire à un pessimisme heureux, cultivé, quant à lui, par un petit nombre, consistant à s’arranger de l’évidence que, n’étant « ni fait ni à faire », le « monde » n’a pas vocation à satisfaire les désirs humains. Or, c’est du pessimisme malheureux, du sentiment que le monde est mal fait, que surgit le désir optimiste de l’améliorer, de le modifier, de le transformer soit dans l’ensemble, soit dans le détail, à commencer par les humains (…) Les humains ressentent-ils le dérisoire de leur présence au sein d’un univers où les étoiles meurent comme des mouches ? Font-ils  l’expérience du chaos, du choc des passions, de l’incompatibilité des névroses, de leur goût du carnage, du temps qui les ravage, de leurs plaisirs vite épuisés, de l’ennui, de l’esseulement, de l’incommunicabilité de leurs désirs, de la dépression, de l’échec, de l’usure, de la maladie, de la déchéance, de la mort qui les guette en embuscade ? C’est bien sûr à cet insoutenable sentiment du rien que disent remédier les notions lénifiantes de "monde ", de "nature ", d’ "être", d’ "harmonie", de "spiritualité", d’ "amour", de "liberté", de "vertu", d’ "amitié", de "justice", de "paix", de "raison", de "bonne volonté", de "bonheur", de "béatitude", de "réalisation de soi", de "sagesse", d’ "altruisme" , d’ "engagement", etc. ».

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22/01/2016

Psychologie et mythologie

psychologie,mythologie,jung,freud,diel,symbole,psyché,éthique,action,intention,désir(Photo: Fèves de la Galette des Rois)

J’ai lu dans The Guardian un court article expliquant que, d’après les chercheurs, les contes de fées remonteraient à plusieurs millénaires. Ce n’est pas cette « découverte » qui a retenu mon attention (les lettres, c’est mon domaine d’expertise), mais le fait que l’article ait été partagé plus de 22.000 fois. Je pense que les lecteurs ont été séduits par un aspect qui évoque l’imaginaire ancestral, et qui représente, après tout, une vérité d’ordre psychologique. Jerome Bruner, l’un des fondateurs de la psychologie cognitive (et qui prend ses distances avec elle), montre que le récit est l’une des formes les plus universelles et les plus puissantes du discours et de la communication humaine. Notre esprit fonctionne comme un mécanisme narratif, le récit sous-tend toute notre existence, sa forme narrative est liée à l’entrée dans la culture. « Lorsque j’ai commencé mes recherches en psychologie, le béhaviorisme régnait en maître sur la psychologie. La méthode scientifique dominante consistait à étudier des rats dans les laboratoires pour comprendre des fonctions psychiques isolées : perception, apprentissage et mémoire. Mais ce qui m’intéressait en tant que psychologue, ce n’était pas les rats de laboratoire, mais les êtres humains. Je voulais comprendre comment les humains forgent une culture, créent des idées, des pensées, des univers mentaux. Or l’exploration des états mentaux des êtres humains -leurs rêves, leurs imaginations, leurs cultures -, je la trouvais plus dans la littérature, la poésie, le théâtre que dans la psychologie » (dans Les Nouveaux Psys, Editions des Arènes, 2008). On se souvient bien que Freud et Jung étaient d'excellents connaisseurs des lettres classiques et modernes, de l’art, de la philosophie.

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10/01/2016

La relation

DSC_1347.JPG( Photos- La mer à Antibes)

Pour les auteurs du Moyen Age, le monde est une théophanie. Alain de Lille s’exprime dans une célèbre formule : « toute créature nous est livre, image et miroir », et tous les auteurs spirituels conseillent de regarder attentivement le monde afin d’y découvrir Dieu et ses attributs, sagesse, puissance, providence et beauté. A plusieurs siècles d’intervalle, en 1934, Krishnamurti disait que le « livre de la vie », est le seul livre qui soit digne d’être « lu », les autres n’offrant que des informations de seconde main. « L’histoire de l’humanité - l’immense expérience, les peurs et les angoisses aux racines profondes, la douleur, le plaisir et toutes les croyances accumulées par l’homme depuis des millénaires -, cette histoire est en vous. Ce livre, c’est vous. »

Voici quelques extraits choisis de son Livre de la Méditation et de la Vie, sur la nature de la relation, puisque tout est relation à l’Autre.

« De toute évidence, ce n’est que dans la relation que se révèle le mécanisme de ce que je suis –ne croyez-vous pas ? Toute relation est un miroir dans lequel je me vois tel que je suis ; mais comme nous n’aimons généralement guère ce que nous sommes, nous commençons à réformer, dans un sens positif ou négatif, ce que nous percevons dans le miroir de la relation. Par exemple, je découvre, dans une relation, dans la façon dont elle se déroule, quelque chose qui ne me plaît pas. Alors je commence à changer ce que je n’aime pas, ce qui m’apparaît déplaisant. Je veux le modifier – ce qui signifie que je me suis déjà forgé un modèle de ce que je devrais être. Dès l’instant où il y a un schéma établi de ce que je que je devrais être, il n’y a aucune compréhension de ce que je suis. Dès que j’ai une image de ce que je veux être, ou de ce que je devrais être, ou ne pas être –une norme selon laquelle je veux me modifier –alors, assurément, toute compréhension de ce que je suis au moment de la relation devient impossible. Je crois qu’il est vraiment important de comprendre cela, car je crois que c’est là que nous faisons le plus souvent fausse route. Nous ne voulons pas savoir ce que nous sommes réellement à un point de la relation. Si notre seule préoccupation est le perfectionnement du moi, cela exclut toute compréhension de nous-mêmes, de ce qui est.

Toute relation est inévitablement douloureuse, ce dont notre existence quotidienne donne ample témoignage. Une relation où n’entre aucune tension cesse d’en être une, elle n’est plus qu’une drogue, un soporifique qui endort confortablement –et c’est ce qui convient le mieux à la plupart d’entre nous. Il y a conflit entre ce désir intense de réconfort et la situation effective, entre l’illusion et le fait. Si vous reconnaissez l’illusion, alors vous pouvez, en la dissipant, consacrer toute votre attention à la compréhension de la relation. Mais si vous recherchez la sécurité dans la relation, celle-ci devient un investissement de confort, un capital d’illusion –alors que c’est l’absence même de sécurité de toute relation qui en fait la grandeur. En recherchant une sécurité dans la relation, c’est la fonction même de la relation que vous entravez - attitude qui a ses propres conséquences et qui engendre ses propres malheurs.

Il ne fait aucun doute que la fonction de toute relation est de révéler l’état de notre moi tout entier. La relation est un processus de révélation et de connaissance de soi. Ce dévoilement de soi est douloureux, il exige des ajustements constants, une souplesse permanente de notre système intellectuel et émotionnel. C’est une lutte difficile, avec des périodes de paix lumineuse…mais en général nous cherchons à éviter ou éliminer la tension dans la relation, lui préférant la facilité et le confort d’une dépendance béate, d’une insécurité incontestée, d’un havre sûr. Alors la famille et les autres relations deviennent un refuge, le refuge des êtres inconséquents. Dès que l’insécurité s’insinue au cœur de la dépendance, comme c’est inévitablement le cas, alors on laisse tomber la relation pour en nouer une autre, dans l’espoir d’y trouver une sécurité durable ; mais il n’existe de sécurité dans aucune relation, et la dépendance n’engendre que la peur. Si l’on ne comprend pas ce processus de sécurité et de peur, la relation devient une entrave, un piège, une forme d’ignorance. Toute l’existence n’est alors que lutte et souffrance, et il n’y a pas d’issue, si ce n’est dans la pensée juste, qui est le fruit de la connaissance de soi. 

 (…) Sans relation, point d’existence : être, c’est être relié…Il semble qu’en général nous ne comprenions pas que le monde, c’est ma relation à l’autre, que l’autre soit un ou multiple. Mon problème est celui de la relation. Ce que je suis, je le projette –et, bien sûr, si je ne me comprends pas moi-même, tout mon cercle relationnel n’est qu’un cercle de confusion qui va s’élargissant (…). Le monde n’est pas quelque chose en dehors de vous et de moi : le monde, la société, sont les relations que nous établissons, ou que nous essayons d’établir entre nous. Ainsi le problème n’est autre que vous et moi, et non le monde, car le monde est la projection de nous-mêmes, et pour le comprendre nous devons nous comprendre. Il n’est pas isolé de nous : nous sommes le monde, et nos problèmes sont les siens. »

(Krishnamurti, Le Livre de la Méditation et de la Vie, 1997 Editions Stock pour la traduction française.  

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