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01/12/2021

Rendre la vie bien réelle

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littérature,existence,narration,thérapie,cerveau(Photos- Greenville, S.C, 2021)

Pour ce dernier mois de l’année, et à l’approche des vacances, nous vous adressons nos meilleurs vœux et vous proposons une note sur les vertus de la littérature. 

 

Joyeux Noël ! Joyeuses Fêtes !

 

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01/11/2021

Ethique et religion?

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(Photo- L'automne au bord du Danube, Galatzi)

Wittgenstein avait présenté sa Conférence sur l’éthique devant un public de non-philosophes. Selon lui, l'éthique se pense toujours dans un contexte et dans des pratiques déterminées, elle ne saurait être une théorie, mais aurait un caractère intrinsèquement personnel. L'analyse détaillée des aspects physiques et psychologiques de nos actions ne nous révélera jamais ce qui les lie à l'éthique, mais c'est notre attitude vis-à-vis de ces actions qui les rend éthiques, plus exactement la manière dont nous arrivons à nous extraire des faits pour les contempler comme d'un point de vue extérieur. Il dit, par exemple, que lorsque quelqu'un face à une décision importante se demande "Que dois-je faire?", le sérieux de cette question est "éthique" parce qu'il se distingue d'autres types de choix. Donc, l'éthique est dans l'attitude du sujet qui expérimente et qui éprouve. Le monde de l'homme heureux n'est pas le même que le monde de l'homme malheureux, bien que les faits qui le constituent soient identiques, c'est le regard qui change, la volonté à l'égard de ce monde qui est différente, mais pas le monde lui-même. En voulant exprimer l'inexprimable (tout comme la religion ou l'esthétique), l'éthique se confronte aux limites du langage, elle ne peut pas s'énoncer sous la forme de propositions douées de sens, mais elle peut se montrer à travers des expériences qui la révèlent dans son authenticité. Wittgenstein ne méprise pas les polars, cette littérature "mineure" où il dit trouver des exemples d'expériences éthiques souvent plus profondes que celles présentes dans les ouvrages de philosophie.

Il y a dix ans, lors de l’affaire DSK, France 3 a diffusé un documentaire (DSK, l’homme qui voulait tout), réalisé par un psychanalyste très médiatique et aussi très à gauche, et dont l’intention affirmée était de proposer un regard freudien. Je n'avais regardé qu’un quart d’heure de ce documentaire, pas plus. Un regard freudien signifie pour moi quelque chose d'implacable et de sentencieux, je ne m'attendais donc pas que le documentaire fût joyeux, mais la démarche allait subtilement dans le sens d'une justification finalement logique (et que j'avais trouvée assez politique). C'est toujours Wittgenstein qui écrit, à une époque où il n'admirait plus la psychanalyse, que "les pseudo-explications fantastiques de Freud (justement parce qu'elles sont pleines d'esprit) ont rendu un mauvais service, n'importe quel âne disposant maintenant de ces images freudiennes pour "expliquer" avec leur aide des symptômes pathologiques" (dans Remarques mêlées).

 Pour Thomas d'Aquinle mal est une absence de bien, privatio boni, il dérive d'une perversion du bien. Nous faisons le mal parce que nous désirons le bien, et nous recherchons le bien de mauvaise façon. Le désir qui s'oriente vers le mal ne peut être qu'une perversion du désir, et celui qui convoite le mal le fait à cause d'un défaut, d'un manque dans sa capacité de désirer, une sorte d'infirmité. Pourquoi le mal serait-il donc nécessaire? D'abord, à cause de la constitution de l'homme comme créature, ensuite pour mettre mieux en évidence le bien. Si chaque objet est connu par rapport à son contraire, alors, s'il n'y avait pas de mal, le bien serait connu de façon moins déterminée, et par conséquent serait désiré avec moins d'ardeur. Si le bien doit être reconnu avant d'être désiré, il peut être reconnu avec plus de précision en étant mis en rapport avec le mal. En ce sens, le mal devient une occasion de bien. Jusqu'à la fin du XVIIIe, la poursuite du bonheur était quelque chose attaché au concept de bien, et aussi le ressort évident de toute action humaine. Pour les Stoïciens le bonheur ou le vrai bien découle directement de la vertu rationnelle -ne pas désirer, c'est être libre. L'adversité n'est pas dans les choses, mais dans le désir qui nous met en conflit avec les choses. C'est dans L'Ethique à Nicomaque que nous pouvons trouver une analyse rigoureuse du lien entre le bonheur et le souverain bien. En observant que "tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d'être heureux", Aristote réfute toutes les positions visant à réduire le bonheur au plaisir, à la richesse, aux honneurs. Pour lui, le bonheur n'est jamais désirable en vue d'autre chose, il est toujours une activité menée conformément à la raison et en accord avec la vertu. En même temps, ce n'est que l'intellect qui délibère, car il permet non seulement d'expliquer une action, mais aussi de la justifier d'un point de vue éthique. D'où l'importance de la sagesse ou de la prudence, qui est pour lui "une disposition accompagnée de règle vraie, capable d'agir dans la sphère de ce qui est bien ou mal pour les êtres humains" (Ethique à Nicomaque, 1143 B 3-4). L'activité propre de l'homme réside dans l'activité de l'âme conforme à la raison, c'est-à-dire à la vertu. C'est pour cette raison que bonheur et vertu sont identifiés: si l'homme réalise son excellence par la vertu, si c'est par elle qu'il atteint sa fin propre, alors c'est elle qui doit être qualifiée de souverain bien. 

Pour Spinoza, qui recherche le Souverain Bien capable de se communiquer, le bonheur n'est pas la récompense de la vertu, il est la vertu elle-même. Selon le philosophe, les religions doivent être tolérées mais soumises à la puissance publique.

« Les pratiques ferventes et religieuses devront se mettre en accord avec l’intérêt public, autrement dit si certaines de leurs expressions sont susceptibles de nuire au bien commun, il faudra les interdire. » « Je déclare l’homme d’autant plus en possession d’une pleine liberté qu’il se laisse guider par la raison. » (Traité théologico-politique, 1670). Un siècle avant Voltaire et Kant, Spinoza est le premier théoricien de la séparation des pouvoirs politique et religieux et le premier penseur moderne de nos démocraties libérales. Il n’est pas athée, bien sûr, mais il ne croit pas au Dieu révélé de la Bible. Pour lui, Dieu est un Etre infini, véritable principe de raison, de sagesse philosophique. Il propose un dépassement de toutes les religions par la sagesse philosophique qui conduit à l’amour intellectuel de Dieu, source de Joie et de Béatitude. Il souhaiterait que les lumières de la raison permettent aux humains de découvrir Dieu et ses lois sans le secours de la loi religieuse et de tous les dogmes qui l’accompagnent, qu’il considère comme des représentations puériles, sources de tous les abus de pouvoir possibles, la religion correspondant à un stade infantile de l'humanité. 

La conception spinoziste de Dieu est totalement immanente: il n’y a pas un Dieu antérieur et extérieur au monde, qui a créé le monde (vision transcendante), mais de toute éternité, tout est en Dieu et Dieu est en tout à travers des attributs qui génèrent une infinité de modes singuliers, d’êtres, de choses, d’idées. Deus sive Natura. L’éthique immanente du bon et du mauvais remplace ainsi la morale transcendante et irrationnelle du bien et du mal. La Joie parfaite ou la Béatitude, est le fruit d’une connaissance à la fois rationnelle et intuitive qui s’épanouit dans un amour universel, fruit de l’esprit, un amour intellectuel de Dieu. Il y a trois genres de connaissances : l’opinion et l’imagination, qui nous maintiennent dans la servitude, la raison, qui nous permet de nous connaître et d’ordonner nos affects, et un troisième, en prolongement du deuxième, l’intuition, par laquelle nous arrivons à l’adéquation entre notre monde intérieur et le cosmos entier. « Plus on est capable de ce genre de connaissance, plus on est conscient de soi-même et de Dieu, c’est-à-dire plus on est parfait et heureux » (Ethique). Donc, union à un Dieu immanent par la raison et l’intuition. « L’homme vertueux n’est plus celui qui obéit à la loi morale et religieuse, mais celui qui discerne ce qui augmente sa puissance d’agir ». Et c'est justement la libération de la servitude qui augmente notre puissance d’agir et notre joie. Plus nos sentiments et nos émotions seront réglés par la raison, plus nos passions seront transformées en actions, plus grande sera la part de notre esprit qui subsistera à la destruction du corps. La liberté s’oppose à la contrainte, mais non à la nécessité. On est d’autant plus libres qu’on est moins contraints par les causes extérieures et qu’on comprend la nécessité des lois de la Nature qui nous déterminent.

On comprend pourquoi Nietzsche, qui n'aura de cesse de déconstruire les catégories morales transcendantes du bien et du mal établies par la morale chrétienne, puis par Kant, jubilera en découvrant la pensée de Spinoza: "Je suis très étonné, ravi! J'ai un précurseur, et quel précurseur!" (Frédéric Lenoir, Le Miracle Spinoza). Nietzsche fulmine contre l'Eglise chrétienne: "Elle est pour moi la plus haute des corruptions concevables (...), de chaque valeur elle a fait une non-valeur, de chaque vérité un mensonge, de chaque rectitude une bassesse." (Jacques Duquesne, Le Diable)

 

Références 

Archives blogs

 

 

01/10/2021

La maîtrise de soi

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(Photo -La Promenade, Nice)

 « L’âme est un certain mode déterminé du penser et ainsi ne peut être une cause libre, autrement dit, ne peut avoir une faculté absolue de vouloir ou de non vouloir ; mais elle doit être déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause, laquelle est aussi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, etc. » (Spinoza

Jung écrit que notre volonté est une fonction dirigée par notre réflexion dont elle dépend. Notre réflexion doit être rationnelle, c’est-à-dire conforme à la raison. Or, on ne pourra jamais démontrer que la vie et la destinée sont conformes à notre raison humaine, c’est-à-dire qu’elles sont rationnelles. Elles sont irrationnelles, c’est-à-dire qu'elles ont leurs fondements, par-delà la raison humaine. "L’irrationalité des événements se montre dans le prétendu hasard", que nous rencontrons partout, même si nous ne pouvons accepter qu’un processus ne soit motivé par l’enchaînement de ses causes.

D'après William Glasser, « les gens n'agissent pas de façon irresponsable parce qu'ils sont malades; ils sont malades parce qu'ils agissent de façon irresponsable ». Sa théorie (la thérapie par le réel) met en rapport les besoins psychologiques essentiels et la responsabilité:pour faire cesser un comportement insatisfaisant, le malade doit pouvoir satisfaire ses besoins de façon réaliste et responsable. Pour y arriver, le patient doit faire face au monde réel qui l'entoure, et ce monde inclut des normes de comportement. Le rôle du thérapeute est de confronter les comportements du patient à ces normes et de lui faire juger la qualité de ce qu'il fait. Si les patients psychiatriques ne jugent pas leur propre comportement, ils ne changeront pas.

Nous arrivons invariablement au mot de Socrate : Connais-toi toi-même. Mais il s’agit d’un idéal difficile à atteindre. Il a même fallu attendre Freud et la psychanalyse pour réaliser à quel point il est difficile, sinon impossible, d’arriver à une connaissance de soi. Il est évident qu’il n’y a aucune « maîtrise » de quoi que ce soit sans  connaissance. La maîtrise de soi implique que l’on puisse avoir une action sur nos gestes, nos raisonnements, nos impulsions et nos pulsions. Sans connaissance de soi, aucune maîtrise n’est possible.

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01/09/2021

Littérature

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(Photo- Les chaises bleues, Nice) 

Pour cette rentrée, voici une invitation à la rencontre de l'écrivain japonais Haruki Murakami. Quelques extraits d’un roman profond et envoûtant, de la vraie littérature plutôt rare de nos jours, malgré l’énorme quantité de produits littéraires: 

« Ne vous arrêtez pas. Continuez à avancer », fit Donna Anna, coupant court à toute discussion. (…)

« Mon corps refuse de bouger, articulai-je tant bien que mal à l’adresse de Donna Anna, en principe derrière moi. Je ne peux pas respirer non plus. 

-Tachez de contrôler votre esprit, dit Donna Anna. Vous ne pouvez pas vous abandonner à vos émotions ainsi. Si vous vous montrez irrésolu, vous serez la proie rêvée d’une Double Métaphore.

- Une Double Métaphore ? Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.

- Vous devez le savoir déjà.

- Moi, je le saurais ?

- Puisqu'elles se trouvent en vous, dit Donna Anna. Tapies en vous, elles se saisissent des pensées justes que vous avez et les dévorent les unes après les autres. Elles s’en nourrissent et s’en engraissent. Voilà ce qu’est une Double Métaphore. Elles logent à l’intérieur de vous-même depuis toujours, dans les profondes ténèbres qui vous habitent.

 

Haruki MURAKAMI, Le Meurtre du Commandeur. Une Idée apparaît, Livre I. La Métaphore se déplace, Livre 2. Editions Haruki Murakami, 2017. Editions Belfond, 2018, pour la traduction française. 

(Des extraits dans ce document PDF)