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01/01/2023

Le sommeil et son utilité (II)


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(Photo- Mimosa en hiver, à Nice)

Bonne Année et une excellente santé physique et mentale! 

 

Les bienfaits du sommeil sur notre cerveau sont colossaux, mais par manque d’information nous ne savons pas quel remède remarquable est le sommeil. C’est le fournisseur de santé universel, capable de dispenser une ordonnance pour chaque maladie physique ou mentale. Il faut comprendre que le sommeil n’est pas l’absence d’éveil, mais beaucoup plus que cela. Il restaure la capacité d’apprentissage du cerveau en faisant place aux nouveaux souvenirs. 


Les ondes cérébrales du sommeil profond NREM transportent des blocs de souvenirs depuis un lieu de stockage temporaire (l’hippocampe) jusqu'à un lieu plus sûr et permanent (le cortex), faisant ainsi que les souvenirs résistent à l’épreuve du temps. Même une courte sieste de vingt minutes en journée peut consolider les souvenirs, si elle contient suffisamment de sommeil NREM. Il faut noter que la relation entre sommeil NREM et renforcement de la mémoire est observée à chaque étape de la vie humaine, mais également chez des êtres non humains (chimpanzés, bonobos, orang-outans, mais aussi chats, rats, insectes). Aujourd'hui, on sait que le retour des fonctions motrices des patients victimes d’un AVC est en partie dû au travail du sommeil, nuit après nuit, le cerveau se mettant à reconfigurer les connexions neuronales restantes et à en produire de nouvelles autour de la zone endommagée. Un autre grand bienfait du sommeil sur la mémoire est la créativité. Pendant le sommeil, le cerveau teste et élabore des connexions entre de vastes comptoirs d’informations, à l’aide d’un algorithme étrange, destiné à créer des associations lointaines et surprenantes, comme une recherche Google.

Mais que fait le manque de sommeil au cerveau ? Aucun aspect du corps humain n’est épargné par le mal toxique que provoque le manque de sommeil. Nous dépendons du sommeil sur le plan social, organisationnel, économique, physique, comportemental, nutritionnel, linguistique, cognitif, émotionnel. La première fonction cérébrale qui souffre même d’un petit manque de sommeil est la concentration. Pensons à tous les domaines où elle est indispensable. En général, les gens ignorent à quel point ils manquent de sommeil, car ils peuvent s’habituer à la réduction de leurs performances, de leur énergie et ils refusent de reconnaître que le manque de sommeil finit par compromettre leurs capacités mentales. Ils ne font pas le lien entre ces deux facteurs. On ne peut se porter bien en dormant quatre ou cinq heures par nuit. Les études montrent que le taux de recyclage d’un humain est de seize heures. Après seize heures d’éveil, le cerveau commence à dysfonctionner. Les êtres humains ont besoin de dormir plus de sept heures par nuit pour préserver leurs performances cognitives. La fatigue entraîne plus d’accidents de voiture que l’alcool et les drogues combinés. Il est donc pire de conduire fatigué que de conduire saoul, pour une raison évidente : les conducteurs alcoolisés mettent souvent du temps à freiner, et du temps à faire des manœuvres approximatives, mais lorsqu'on s’endort ou que l’on plonge dans un micro-sommeil, une fraction de seconde suffit car on cesse totalement de réagir, on est coupé de l’extérieur. Cependant, les gouvernements des pays industrialisés dépensent moins de 1% de leur budget dans la prévention de la fatigue au volant alors qu’ils investissent beaucoup plus pour lutter contre la conduite en état d’ivresse.

Les études montrent que ni les siestes ni la caféine ne préservent toutes ces fonctions complexes du cerveau que sont l’apprentissage, la mémoire, la stabilité émotionnelle, le raisonnement complexe ou la prise de décision. L’impact du manque de sommeil sur nos émotions est énorme. Les chercheurs ne savent que depuis récemment à quel point le manque de sommeil influence le cerveau émotionnel du point de vue neuronal, outre les ramifications professionnelles, psychiatriques et sociétales. Nous nous rappelons : le cortex préfrontal, associé à la pensée rationnelle et logique et à la prise de décision, est fortement lié à l’amygdale, régulant ainsi ce centre des émotions profondes du cerveau grâce à un contrôle inhibitoire. Après une bonne nuit de sommeil, l’équilibre entre l’accélérateur (l’amygdale) et le frein (le cortex préfrontal) est donc bon. Sans sommeil, cet équilibre est donc perdu, d’où l’irrationalité émotionnelle. D'ailleurs, la relation entre le sommeil et les maladies psychiatriques et démontrée, à l’aide des IRM : aucune maladie psychiatrique majeure ne montre un sommeil normal. C’est le cas pour la dépression, l’anxiété, les stress post-traumatique, la schizophrénie, le trouble bipolaire. Beaucoup de régions du cerveau touchées par les troubles psychiatriques sont les mêmes à être impliquées dans la régulation du sommeil et donc touchées par le manque de sommeil. Même les gènes présentant des anomalies en cas de maladies psychiatriques sont les mêmes que ceux aidant au contrôle du sommeil et de notre rythme circadien. Prenons la dépression, par exemple : elle n’est pas uniquement liée à la présence de sentiments négatifs, mais aussi à l’absence d’émotions positives (anhédonie –incapacité à tirer du plaisir d’expériences normalement agréables, comme l’alimentation, la socialisation, le sexe).

Le manque de sommeil a des effets énormes sur la société, l’éducation, le lieu de travail. Les recherches des neurosciences dans ce domaine, la médecine du sommeil, les laboratoires du sommeil, contribuent à une prise de conscience nouvelle. Moins nous dormons, plus notre vie est courte. Presque toutes les maladies et causes de décès présentes dans les pays développés (maladies cardiaques, obésité, démence, diabète, cancer) renvoient au manque de sommeil. A mesure que nous nous rapprochons de la cinquantaine, l’impact du manque de sommeil sur le système cardiovasculaire monte en flèche. Les adultes de quarante-cinq ans ou plus qui dorment moins de six heures par nuit ont 200% plus de risques de faire une crise cardiaque ou une attaque durant leur vie que ceux qui dorment sept ou huit heures par nuit. Si le système nerveux sympathique reste bloqué sur le « on », s’il est en surmenage permanent, donc hyperactif (l’état de « lutter ou fuir ») la privation de sommeil déclenche un effet domino : le frein de repos qui empêche en temps normal notre cœur d’accélérer ses contractions, va être supprimé, et notre cœur va s’emballer. Notre cœur privé de sommeil bat plus vite, le volume de sang pompé dans notre système vasculaire augmente, en même temps que la tension artérielle. Il se produit une augmentation de l’hormone du stress (le cortisol), déclenchée par l’hyperactivité du système nerveux sympathique. La conséquence de ce déluge de cortisol est la contraction des vaisseaux sanguins, donc une plus forte pression artérielle. En plus, l’hormone de croissance – grande guérisseuse du corps – délivrée pendant la nuit, est stoppée par le manque de sommeil. Sans cette hormone destinée à réapprovisionner la paroi de nos vaisseaux sanguins (l’endothelium), les vaisseaux se dépouillent peu à peu de leur intégrité. Cette dégradation de notre tuyauterie vasculaire dans tout notre corps entraîne des risques d’athérosclérose (artères encombrées), les vaisseaux éclatent, les effets courants sont les crises cardiaques et les AVC. Or, une pleine nuit de sommeil fournit au système cardiovasculaire des bienfaits guérisseurs : pendant le sommeil profond NREM, le cerveau envoie un signal calmant à la branche sympathique du système nerveux du corps et empêche ainsi l’escalade du stress physiologique associé à la pression artérielle, aux crises cardiaques, aux AVC.

La perte de sommeil influence le métabolisme : diabète et prise de poids. Si les cellules de notre corps cessent de répondre à l’insuline (comme des canalisations efficaces sur le bas-côté d’une route lors d’une pluie torrentielle), elles ne peuvent plus absorber efficacement le glucose de notre sang. Un certain nombre d’études ont montré le lien entre manque de sommeil et taux de sucre anormal dans le sang. Des groupes de chercheurs ont découvert des taux de diabète de type 2 bien plus élevés chez les individus affirmant dormir habituellement moins de six heures par nuit. Bien sûr, lorsque notre sommeil est réduit, nous prenons du poids. Deux hormones contrôlent l’appétit : la leptine et la ghréline. Le sommeil inadapté fait baisser la concentration de l’hormone qui signale la satiété (la leptine) et augmente le taux de ghréline, l’hormone à l’origine de la sensation de faim. Il est aussi possible que des changements dans le cerveau expliquent un penchant pour des aliments non sains causé par le manque de sommeil. Vraisemblablement, il se produit  une rupture dans les zones de contrôle des pulsions surveillant habituellement notre désir hédonnique inné en matière d’alimentation. Selon les preuves rassemblées pendant les trente dernières années, l’épidémie de manque de sommeil est très probablement le facteur clé de l’épidémie d’obésité. 

Il existe un lien étroit, bidirectionnel, entre le sommeil et le système immunitaire. Le sommeil lutte contre l’infection et la maladie et nous apporte une protection, d’ailleurs, lorsque nous tombons malades, notre système immunitaire stimule activement le système du sommeil  et nous restons au lit. Il suffit de manquer une seule nuit de sommeil pour que la protection invisible de notre résilience immunitaire soit retirée de notre corps. Il faut savoir qu’une fois les bienfaits du sommeil perdus, nous ne pouvons pas les retrouver simplement en rattrapant le sommeil perdu. Seules quelques nuits courtes suffisent pour que le corps se retrouve en état de faiblesse immunitaire. C’est ce qui se passe pour le cancer : les cellules NK (natural killer cells / cellules tueuses) sont un escadron puissant de notre système immunitaire, or si nous dormons trop peu, elles ne sont plus efficaces, elles sont absentes. Des études (le Dr. Michael Irwin, de l’université de Californie à Los Angeles) ont montré qu’un manque de sommeil sur une très courte période affecte rapidement et totalement nos cellules immunitaires destinées à lutter contre le cancer. D'ailleurs, les recherches sur plusieurs années ont rattaché de plus en plus de tumeurs malignes au manque de sommeil. Une vaste étude menée en Europe sur 25000 individus a démontré que dormir six heures ou moins est associé à une augmentation de 40% des risques de développer un cancer, par rapport à un sommeil de sept heures ou plus. Maintenant, on sait quel est le mécanisme : le système nerveux sympathique est perturbé, contraint de rester en surchauffe en cas de manque de sommeil, ce qui provoque dans le corps une réaction inflammatoire inutile et marquée du système immunitaire. Un sommeil de mauvaise qualité augmente le risque de développer un cancer, et une fois le cancer installé, il fonctionne comme un engrais favorable à la croissance des tumeurs. La preuve scientifique de ce lien est accablante, et d’ailleurs, l’OMS a classé officiellement le travail de nuit comme  probablement cancérigène.  

La perte de sommeil endommage aussi l’essence même de notre vie : notre code génétique et les structures qui le renferment. La régulation des milliers de gènes de notre cerveau dépend d’un sommeil constant et suffisant. Si l’on prive une souris de sommeil pendant une seule journée, l’activité de ses gènes baisse de 200%. Les recherches ont montré que les effets du manque de sommeil sur l’activité génétique sont aussi frappants chez les humains que chez les souris. Moins un individu dort, ou plus son sommeil est de mauvaise qualité, plus les télomères (qui protègent les extrémités des chromosomes) sont endommagés. Ce sont les télomères qui reflètent les dommages du vieillissement ou de la décrépitude avancée. Il ne s’agit pas seulement du manque de sommeil, mais aussi du fait de dormir selon des horaires inappropriés (décalage horaire, travail de nuit).

Les rêves pendant le sommeil REM. Nous connaissons la théorie de Freud sur le rêve qui serait une réalisation de nos désirs, théorie qui a dominé la psychiatrie et la psychologie pendant un siècle. Les neurosciences ont permis, de nos jours, l’apparition de théories vérifiables scientifiquement, grâce aussi aux images IRM. Le sommeil REM est une phase caractérisée par une forte activité cérébrale dans les régions des mémoires visuelle, motrice, émotionnelle et autobiographique, et par une désactivation des régions qui contrôlent les pensées rationnelles. Aujourd'hui, on peut prédire la forme globale des rêves (émotionnelle, visuelle, motrice) mais pas exactement le contenu, mais les recherches avancent. On sait aussi qu’il est bénéfique pour notre santé mentale de noter sur le papier nos préoccupations, nos émotions, nos pensées, et aussi nos rêves. Une vie riche de sens et saine sur le plan psychologique est une vie analysée, rappelle l’auteur en citant Socrate. Ce que l’on sait aujourd'hui, c’est que les rêves ne sont pas une rediffusion de nos vies éveillées, comme une vidéo que nous puissions rembobiner. Le fil conducteur entre nos vies éveillées et nos vies endormies est celui de nos préoccupations émotionnelles. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une censure, d’un filtre, pour des éléments cachés, comme dans la théorie de Freud. Les sources des rêves sont transparentes, assez claires pour que nous puissions les identifier et les reconnaître sans avoir recours à un interprète. Le rêve est une thérapie nocturne. Tout comme une ampoule qui éclaire produit aussi de la chaleur, bien que cela soit un produit dérivé de cette opération, de la même manière, l’évolution a permis de construire des circuits neuronaux produisant le sommeil REM, mais aussi les fonctions supportées par ce sommeil REM. Lorsque le cerveau humain produit du sommeil REM, il peut produire aussi des rêves. Selon l’auteur, le rêve est un baume apaisant, et ce n’est peut-être pas le temps qui guérit les blessures, mais le temps que l’on passe à rêver. Les rêves du sommeil REM effacent les blessures douloureuses suivant des épisodes émotionnels désagréables, voire traumatisants, vécus pendant la journée, et ils offrent ainsi un pansement  émotionnel au réveil. Cette thérapie nocturne a deux buts : 1) dormir pour se souvenir des détails d’expériences essentielles pour les intégrer à des connaissances déjà en place , dans une perspective autobiographique, et 2) dormir pour oublier, atténuer la charge émotionnelle douloureuse rattachée à certains souvenirs. Le sommeil REM est donc nécessaire à la guérison de nos blessures émotionnelles.

L’un des plus fréquents troubles du sommeil est l’insomnie. Mais manquer de sommeil ne signifie pas forcément être insomniaque. Dans le cas de l’insomnie, on souffre d’une capacité inadéquate à dormir, malgré les occasions adéquates de le faire, tandis que manquer de sommeil, c’est l’inverse : on a la capacité adéquate de dormir, mais on se donne des occasions inadéquates pour le faire. Il existe deux  types d’insomnie : d’endormissement et de maintien. L’insomnie, l’une des pathologies les plus fréquentes de la société moderne, peut avoir une cause génétique, mais ses déclencheurs les plus communs sont d’ordre psychologique : les soucis émotionnels, les inquiétudes, la détresse émotionnelle, l’anxiété. Le principal coupable, un système nerveux sympathique hyperactif, le système qui s’active dans les cas de menace ou de stress aigu (c’est celui qui était nécessaire au cours de notre évolution - « lutter ou fuir »). L’auteur suggère plusieurs remèdes dans le chapitre «Comment passer des somnifères à une société transformée », un chapitre particulièrement utile où il nous explique pourquoi le sommeil naturel est l’un des plus puissants amplificateurs du système immunitaire, aidant à repousser les infections, et pourquoi un somnifère ne fera pas ce travail.

Le paradoxe de nos sociétés performantes est que, d’une part, le monde professionnel se soucie de la santé, de la sécurité des employés, et d’autre part, de nombreuses cultures du travail défendent l’inutilité du sommeil. Or, le manque de sommeil dégrade un certain nombre de facultés nécessaires à la plupart des métiers. D'après l’auteur, il faudrait que l’intervention sur le sommeil se passe à plusieurs niveaux : individuel d’abord, éducatif (interpersonnel), organisationnel, politique publique, sociétal. Il n’est pas question de renoncer à la technologie et de revenir à un siècle en arrière, mais de faire de la technologie une alliée (des pisteurs de sommeil, une bonne température, une programmation des variations circadiennes naturelles de température pendant la nuit, adaptée à chaque corps, etc.). Dans le secteur de la médecine, ces progrès sont fondamentaux, puisque le facteur sommeil est extrêmement important chez les patients. Moins nous avons dormi, ou plus notre sommeil est fragmenté, plus nous sommes sensibles aux douleurs de toutes sortes. 

Dans les nations industrialisées, l’impact de la destruction du sommeil est une catastrophe pour notre santé, notre espérance de vie, notre sécurité, notre productivité, l’éducation de nos enfants. Il s’agit en fait d’une épidémie silencieuse, le plus grand défi de santé publique qui concerne les nations développées du XXI e siècle.

 

Références: 

Matthew Walker, Why We Sleep, Penguin Group, 2018

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