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06/08/2014

Livre

Peter Brook.jpgLa lecture de ce livre de Peter Brook sur Shakespeare, m'a fait penser à un quatrain qui appartient à un poète, dramaturge du XIXe "Le monde est ainsi, une comédie/Et nous, les acteurs qui l'interprétons/ Nous n'avons de plus fort désir/Que de mériter des applaudissements" (en original: "Aşa e lumea, o comédie / Iar noi artiştii care-o jucăm / N-avem dorinţă alta mai vie / Decât aplauze să merităm!”). D'ailleurs, l'idée de la vie comme une scène, sur laquelle chacun va jouer son rôle, était ancrée dans la pensée littéraire et philosophique depuis des siècles. Grand connaisseur  de l'univers shakespearien, qu'il a rendu au public par des mises en scènes réalisées depuis 1945, Peter Brook nous rappelle dans cet ouvrage à quel point Shakespeare est unique. Loin d'appartenir au passé, les mots écrits sont des sources pour créer des formes nouvelles, avec chaque nouvelle production. "Il n'y a pas de limites à ce que nous pouvons trouver dans Shakespeare", et nous y sommes aidés par les centaines de personnages, de situations et d'expériences, par la complexité du monde extérieur -social, politique, psychologique-, et du monde de l'esprit. Une interrogation fascinante semble traverser ce petit texte qui nous partage des impressions et des moments de travail: comment le sens, un certain sens, peut-il venir à la forme, et comment arrive-t-il à se couler dans une autre forme? L'universel est à chaque fois particulier, et vice-versa. J'ai choisi quelques extraits qui pourront être lus plus facilement dans le document que voici.

28/07/2014

Parole et émotion

parole, émotion, raison, philosophie, scolastique, science, décision, cerveau La conscience du pouvoir magique de la parole, qu'elle soit bonne ou mauvaise, est déjà profondément ancrée dans l'univers médiéval, construit sur l'antinomie vertu/péchéTrès tôt, le système des péchés a été organisé et hiérarchisé en péchés capitaux ou mortels et péchés mineurs ou de seconde zone. Il faut observer que les enfants de chacun des sept péchés capitaux (l'orgueil, l'envie, la colère, la tristesse, l'avarice, la gourmandise, le vice) sont les péchés de la langue, c'est-à-dire les mauvaises paroles produites par le coeur et par l'esprit des pécheurs, et véhiculées à travers la dangereuse porte de la bouche, par la langue. L'univers de la communication verbale dans la société de l'Occident médiéval exigeait une discipline de la parole, et c'est le système scolastique qui a posé les bases d'une casuistique de la parole. Un traité inédit, conservé à Oxford, De lingua, du XIIIe, situe le péché de langue à l'intérieur du péché de gourmandise, défini comme l'ensemble de deux grands domaines, celui du goût et celui de la parole. Il n'y a pas de grand théologien de l'époque qui ne parle dans son système du "peccatum oris", du fait qu'il y a opposition entre parole bonne et parole mauvaise, comme entre vice et vertu. "La grâce de parole" est un  thème qui préoccupe beaucoup les esprits de l'époque, et tous sont d'accord que ses fruits sont des vertus telles la capacité et l'habileté à bien parler, la ferveur, le discernement.. On peut remarquer que les actes verbaux ne font que traduire des valeurs éthiques, harmonieuses ou désordonnées. 

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17/07/2014

Possibilités de l'intelligence

intelligence, intelligence artificielle, émotions, Wittgenstein, Bergson, langage, réflexion Aujourd'hui, l'intelligence artificielle est capable de remplacer tout à fait l'humain dans bien des domaines, y compris dans celui de la rédaction de contenus. A partir de mots-clés, un robot dernière génération peut vous offrir un texte parfaitement rédigé: une description, une publicité, et pourquoi pas un article d'information, à la place du journaliste. Wittgenstein observait quel serait le vrai danger de ce progrès: "Nous ne devons pas craindre que nos machines nous dépossèdent de la pensée -mais peut-être avoir peur qu'elles ne nous incitent à cesser de penser par nous-mêmes. Ce qui leur manque, ce n'est pas la puissance de calcul, mais l'animalité. Le désir et la souffrance, l'espoir et la frustration sont les racines de la pensée, pas le calcul mécanique." (Wittgenstein, Editions du Seuil, 2000). Il faudra rappeler que ces considérations sont liées à une conception de l'éthique (retrouver éventuellement, une note sur l'autre blog).
Voici un très beau texte de Bergson qui décrit l'intelligence, en tant que résultat de l'évolution créatrice, à savoir du langage dans son rapport aux choses, et à soi-même
 
"Une intelligence qui réfléchit est une intelligence qui avait, en dehors de l'effort pratiquement utile, un surplus de force à dépenser. C'est une conscience qui s'est déjà, virtuellement, reconquise sur elle-même. Mais encore faut-il que la virtualité passe à l'acte. Il est présumable que, sans le langage, l'intelligence aurait été rivée aux objets matériels qu'elle avait intérêt à considérer. Elle eût vécu dans un état de somnambulisme, extérieurement à elle-même, hypnotisée sur son travail. Le langage a beaucoup contribué à la libérer. Le mot fait pour aller d'une chose à une autre, est, en effet, essentiellement, déplaçable et libre. Il pourra donc s'étendre, non seulement d'une chose perçue à une autre chose perçue, mais encore de la chose perçue au souvenir de cette chose, du souvenir précis à une image plus fuyante, d'une image fuyante, mais pourtant représentée encore, à la représentation de l'acte par lequel on se la représente, c'est-à-dire à l'idée. Ainsi va s'ouvrir aux yeux de l'intelligence, qui regardait dehors, tout un monde intérieur, le spectacle de ses propres opérations. Elle n'attendait d'ailleurs que cette occasion. Elle profite de ce que le mot est lui-même une chose pour pénétrer, portée par lui, à l'intérieur de son propre travail. Son premier métier avait beau être fabriquer des instruments; cette fabrication n'est possible que par l'emploi de certains moyens qui ne sont pas taillés à la mesure exacte de leur objet, qui le dépassent, et qui permettent ainsi à l'intelligence un travail supplémentaire, c'est-à-dire désintéressé. Du jour où l'intelligence, réfléchissant sur ses démarches, s'aperçoit elle-même comme créatrice d'idées, comme faculté de représentation en général, il n'y a pas d'objet dont elle ne veuille avoir l'idée, fût-il sans rapport direct avec l'action pratique". (extrait de Henri Bergson, L'évolution créatrice, dans Mémoire et vie, Textes choisis par Gilles Deleuze)
 

07/07/2014

Esprit et corps/conscience et cerveau

(Photo credit: Gaia ESO project -The Milky Way's disc)image002 Gaia -ESO project -the Milky Way's disc.png
 
Le débat esprit/cerveau (âme/corps) se poursuit depuis l'antiquité. Pour Platon l'âme est le siège de la sagesse, celle-ci ne pouvant exister dans le corps physique. Rappelons aussi que jusqu'au XVIe siècle, le soin de l'âme était plus important que le soin du corps, et aussi que c'était le coeur qui renfermait la sensibilité, la mémoire, l'intelligence, le courage. Descartes identifie l'esprit à la conscience, et à la conscience de soi, en le distinguant du cerveau, même s'il considère le cerveau le siège de l'intelligence. C'est le XIXe qui va découvrir effectivement le rôle du cerveau. Pour le philosophe et le psychologue Emilio Ribes Iñesta, l'esprit est une interaction, une forme de relation. Selon lui, pendant des siècles, l'humanité a confondu cette interaction avec le sujet, le moi, la personnalité. Le sujet n'est qu'un des deux termes de la relation, l'autre est le milieu, l'environnement, l'esprit ne peut donc se réduire à aucun des deux termes, ni encore moins habiter l'un d'eux, car les interactions ne possèdent pas d'attribut d'extension (n'ont pas de res extensa, comme disait Aristote). <La psychologie occidentale a la mauvaise habitude de séparer les corps des fonctions des corps, conception issue essentiellement de la tradition judéo-chrétienne. En ce qui concerne les humains, leurs processus d'interaction avec le monde (créer un monde à travers le langage, à travers l'interaction avec autrui) n'étant pas susceptibles d'être identifiés de façon visible ("regarde: ici, il est entrain de penser"; "ceci est penser", "ceci est se souvenir", "ceci est créer", ceci est avoir une idée", etc.) on postula qu'ils avaient lieu ailleurs, parce que non visibles. (...)  Je pense que la position matérialiste est tout autant erronée que la position spiritualiste, le problème étant que la question n'est pas de nature ontologique. (...) tous les problèmes de "mal connaître" se réduisent à "mal manier" notre propre instrument de connaissance, c'est-à-dire le langage. Cela revient à philosopher autrement. On se focalise alors non pas sur les questions :"où se trouve le mental?", "qu'est-ce que le mental?" ou encore " le mental et le comportement sont-ils incompatibles?", "le mental et la conscience sont-ils des termes qui n'ont pas de correspondances avec les choses existantes?", mais sur le fait que le mental et la conscience sont des termes qui ont un sens dans les pratiques ordinaires des gens. Et dans ces pratiques ordinaires des gens, ces mots, comme l'attestent l'étymologie ou la philologie, n'ont rien à voir avec des entités, ni transcendantes ni non transcendantes: ils ont à voir avec les échanges réciproques et leurs circonstances, entre les personnes et le monde, d'une part, les personnes entre elles d'autre part (...) 
 

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