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01/07/2015

Le mal du siècle

Our solar system.png(Photo Web: Our solar system)

 

Ou « Dieu est grand ». Un article publié il y a quelques jours dans The Guardian observe que le sadisme du groupe terroriste appelé Etat islamique ne peut être expliqué uniquement par la politique, mais il vient de quelque chose de plus profond et de plus obscur. En ’45, Hannah Arendt écrivait : «Le problème du mal sera la question fondamentale de la vie intellectuelle de l’après-guerre, en Europe». Elle voulait dire que, après l’Holocauste, quand les Européens ont vu de quoi ils avaient été capables, le problème dominant serait de comprendre comment une telle horreur avait été possible. La question du mal est devenue un défi particulier pour les croyants –comment croire en un Dieu bienveillant et tout-puissant, quand le monde peut contenir une telle perversité ? Nous constatons que «le problème du mal», loin d’être une question historique, concerne le moment présent, celui que nous vivons. Il ne représente pas un défi pour les seuls croyants, mais interroge l’humain en nous. Comment tant de cruauté est-elle possible ? Il y a toujours des explications fournies pour ces événements –héritage historique, forces géopolitiques, facteurs locaux. Elles sont pertinentes, mais elles ne répondent pas à ce qui est le cœur du problème : comment l’horreur est-elle possible ? Si nous pensons que les humains sont des créatures féroces et cruelles innées, qui trouvent du plaisir à infliger une souffrance à autrui, alors aucune surprise que les gens d’ISIS/Daesh accumulent les atrocités et font du sadisme un sport de compétition. Mais si nous avons une vue différente des humains et de leur capacité à éprouver de l’amour et de l’empathie, alors le problème du mal persiste.

Nous pouvons retourner à la psychologie et suggérer et espérer que les humains derrière les atrocités récentes sont des individus malades, profondément atteints. Ou bien, si nous décidons qu’ils sont sains, nous pouvons nous tourner vers la psychologie de groupe. On se souvient que les expériences de Milgram sur l’obéissance ont montré que la volonté d’un homme à infliger une souffrance à l’autre durait aussi longtemps que l’autorité dans laquelle il avait confiance le lui demandait. (Les observations de Milgram portent sur les situations d'obéissance de la vie quotidienne jusqu'aux grands événements de notre histoire, comme la Seconde Guerre mondiale. Sa conclusion est que ceux qui se soumettent aveuglément aux exigences de l'autorité ne peuvent prétendre au statut d'hommes civilisés. L’individu  se maintient dans un état "agentique" -agent qui exécute une volonté étrangère- aussi longtemps qu'il n'y a pas de tension, laquelle est le signe de désapprobation à un ordre de l'autorité. Il va essayer de baisser la tension, par certaines réactions, mais il arrivera à la désobéissance finale seulement lorsqu'il ne pourra plus faire diminuer le niveau de tension. Or, là, c'est une affaire de conscience individuelle.)

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13/02/2015

Ethique et univers

éthique, bien, mal, désir, bonheur, philosophie, sciences, univers, complexité(Photos Nice: Pâquerettes)

 

Pour Thomas d'Aquin, le mal est une absence de bien, privatio boni, il dérive d'une perversion du bien. Nous faisons le mal parce que nous désirons le bien, et nous recherchons le bien de mauvaise façon. Le désir qui s'oriente vers le mal ne peut être qu'une perversion du désir, et celui qui convoite le mal le fait à cause d'un défaut, d'un manque dans sa capacité de désirer, une sorte d'infirmité. Pourquoi le mal serait-il donc nécessaire? D'abord, à cause de la constitution de l'homme comme créature, ensuite pour mettre mieux en évidence le bien. Si chaque objet est connu par rapport à son contraire, alors, s'il n'y avait pas de mal, le bien serait connu de façon moins déterminée, et par conséquent serait désiré avec moins d'ardeur. Si le bien doit être reconnu avant d'être désiré, il peut être reconnu avec plus de précision en étant mis en rapport avec le mal. En ce sens, le mal devient une occasion de bien. 

 

Jusqu'à la fin du XVIIIe, la poursuite du bonheur était quelque chose attaché au concept de bien, et aussi le ressort évident de toute action humaine. Pour les Stoïciens le bonheur ou le vrai bien découle directement de la vertu rationnelle -ne pas désirer, c'est être libre. L'adversité n'est pas dans les choses, mais dans le désir qui nous met en conflit avec les choses. C'est dans L'Ethique à Nicomaque que nous pouvons trouver une analyse rigoureuse du lien entre le bonheur et le souverain bien. En observant que "tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d'être heureux", Aristote réfute toutes les positions visant à réduire le bonheur au plaisir, à la richesse, aux honneurs. Pour lui, le bonheur n'est jamais désirable en vue d'autre chose, il est toujours une activité menée conformément à la raison et en accord avec la vertu. En même temps, ce n'est que l'intellect qui délibère, car il permet non seulement d'expliquer une action, mais aussi de la justifier d'un point de vue éthique. D'où l'importance de la sagesse ou de la prudence, qui est pour lui "une disposition accompagnée de règle vraie, capable d'agir dans la sphère de ce qui est bien ou mal pour les êtres humains" (Ethique à Nicomaque, 1143 B 3-4). L'activité propre de l'homme réside dans l'activité de l'âme conforme à la raison, c'est-à-dire à la vertu. C'est pour cette raison que bonheur et vertu sont identifiés: si l'homme réalise son excellence par la vertu, si c'est par elle qu'il atteint sa fin propre, alors c'est elle qui doit être qualifiée de souverain bien. 

Pour Spinoza, qui recherche le Souverain Bien capable de se communiquer,  le bonheur n'est pas la récompense de la vertu, il est la vertu elle-même. 

 

On comprend ainsi que faire de la poursuite du bonheur un but en soi est une erreur. Il faudrait chercher autre chose que son propre bonheur, par exemple le bonheur d'autrui, l'amélioration de la condition de l'humanité, la justice sociale, aspirer à autre chose qui soit non pas un moyen, mais une fin idéale. Et alors, on découvrirait le bonheur chemin faisant. Peu importe le type d'activité que l'on fait, l'important c'est de placer son intérêt dans une fin idéale. 

La philosophie n'est pas que spéculation, elle vise à la sagesse dans sa dimension pratique. Je sais qu'il existe des tentatives de faire du développement personnel à partir d'une doctrine philosophique - appliquer telle ou telle doctrine philosophique dans notre vie. Il y a même des livres qui sont sortis. Je ne trouve en rien cette démarche séduisante, pour la simple raison qu'elle semble ignorer la mise à distance nécessaire pour la pensée, et aussi le rôle de la subjectivité et de l'expérience personnelle. Faire connaître, revisiter les philosophes, les présenter, les faire relire, et dégager ce qui est universel dans les catégories et les concepts, cela oui. Ce serait une démarche utile et respectueuse du raisonnement des individualités du XXIe que nous sommes. Autrement, la philosophie servirait à un autre type d'endoctrinement, lorsqu'elle se veut libératrice. 

 

De récentes découvertes en science laissent supposer que l'univers produit de façon naturelle de la complexité. Les scientifiques essaient de comprendre comment la structure simple de l'univers peut permettre la création de la complexité. L'émergence de la vie en général, et de la vie rationnelle en particulier, associée à sa culture technologique, pourrait être très courante, ce serait une tendance réelle de l'univers d'évoluer de façon prévisible. Le fait de croire que l'univers est structuré pour produire de la complexité en général, et des créatures rationnelles en particulier, n'est pas forcément une croyance religieuse, c'est-à-dire que cela n'implique pas forcément que l'univers a été créé par un Dieu, mais cela suggère que le type de rationalité que nous possédons n'est pas un accident. Il doit y avoir quelque chose de spécifiquement moral concernant les créatures rationnelles et sociales, et dans ce cas, les éventuels extraterrestres intelligents ont dû développer des attitudes similaires à partir de leurs engagements moraux de base. Un tel accord universel pourrait être un système éthique universel.