Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/10/2023

Traumatisme et résilience

DSC_5178.JPG

 

(Photo- Nice. Lever de soleil)

Le psychiatre Boris Cyrulnik explique qu’après un trauma, on est coupé en deux, c’est-à-dire qu’on est clivé. Il y a une partie de nous qui parle facilement, qui s’exprime, qui travaille, qui rigole, et une autre partie qui souffre en secret. On croit que le problème est réglé, alors qu’en fait il est enfoui.

Invitée dans l’émission La Grande Librairie, l’écrivain belge Amélie Nothomb parle de son récent livre Psychopompe, où elle évoque, dans une page glaçante, un épisode biographique traumatisant: le viol collectif qu’elle avait subi sur une plage au Bangladesh, à 12 ans. Comment est-elle parvenue à l’écrire ? Elle répond que c’était indispensable.

"Psychopompe", il est question de quelqu'un qui s’approche autant que possible de la mort et qui en revient. C’est de la résilience. Encore faut-il s’approcher autant que possible de la mort. Ma manière à moi d’avoir approché cette mort, ça a été cette agression. Donc je ne peux pas raconter l’expérience Psychopompe en omettant cet épisode qui de fait a failli m’emporter. Ca m’a plongée dans une totale irréalité. Ce qui s’est passé était tellement fou, je ne voyais pas les agresseurs, quand je suis sortie de l’eau, heureusement que ma mère a prononcé deux paroles pour commenter ce qu’elle avait vu, parce que sinon j’aurais réellement pensé avoir déliré, avoir inventé cet épisode monstrueux.

L’écriture m’a sauvée. Je pense qu’on a tous un danger intérieur, qui est très difficile à identifier, peut-être pas le même pour tous. Je ne sais pas au juste quel est mon danger intérieur, mais je sais qu’il est très important de m’en sauver.

« Dans quelle mesure cet événement a déterminé l’écrivain que vous êtes ? » demande l’animateur de l’émission.

Comment on se sauve d’un truc pareil ? Y a pas moyen. Alors moi, par la suite, j’ai poussé l’expérience de recherche de la mort, mais presque jusqu’à son terme. J’ai cessé de m’alimenter, je suis devenue anorexique au finish, et j’ai réellement failli mourir. Bon, à la dernière seconde, j’en suis revenue. Encore fallait-il se reconstruire. J’ai commencé à écrire à ce moment-là, sans savoir le moins du monde ce que je faisais, et sans savoir qu’il y avait là une possibilité de reconstruction. Ce n’est pas de la magie. Il a fallu des années et des années d’écriture pour qu’il y ait une reconstruction.

« Aujourd’hui, vous vous sentez vivante ? »

« Oh oui, vraiment. Vraiment aujourd’hui, je me sens vivante. »

Quelques extraits du livre dans ce document PDF.

 

Référence 

Amélie NOTHOMB, Psychopompe, Editions Albin Michel, 2023

Archives

http://www.cefro.pro/archive/2015/09/22/la-memoire-2-5688...  (sur les blessures émotionnelles)

http://www.cefro.pro/archive/2017/07/17/le-tspt.html

http://www.cefro.pro/archive/2021/04/26/une-pathologie-de...

 

 

01/08/2023

La littérature, toujours...

Archives, littérature

(Photo- A Villefranche-sur-mer)

 

C'est le mois des vacances, voici donc deux notes des Archives comme plaidoyer pour la littérature et son rôle si complexe dans notre vie. « L’imaginaire se loge entre les livres et la lampe. (…) Pour rêver, il ne faut pas fermer les yeux, il faut lire. » (Michel Foucault)  

La fiction comme thérapie 

Le biais littéraire

 

01/03/2023

Les mots qui libèrent

dépression,littérature,haig,kafka

(Photo- Magnolia à Nice, février-mars 2023)

Dans un ouvrage sensible et plein d’humour, l’écrivain britannique Matt Haig raconte comment il est venu au bout d’une dépression qui l’avait poussé au suicide, à seulement vingt-quatre ans. Il décrit le combat qu’il a mené pour comprendre ce qui lui arrivait, pour vaincre sa maladie et se mettre sur le chemin de la guérison.   

Le fait que ce livre existe prouve que la dépression ment. Elle vous fait penser des choses fausses. Pour autant, la dépression elle-même n’est pas un mensonge. C’est la chose la plus réelle que j’aie jamais connue. Bien sûr, elle est invisible. Aux yeux des autres, vous vous promenez avec la tête en feu, mais personne ne voit les flammes. C’est pour cette raison  - la dépression est surtout invisible et mystérieuse - que la stigmatisation est particulièrement cruelle, car elle affecte les pensées, or la dépression est une maladie de la pensée. (…) Mais nous nous en sortirons, et la meilleure manière pour cela est d’en parler. Voire peut-être d’écrire et de lire sur le sujet. (…) Parfois, les mots peuvent nous libérer.

Il existe cinq genres littéraires : narratif, poétique, épistolaire, théâtral, argumentatif. Un manuel du XIX siècle, 1876, conçu par un professeur d’anglais à l’Ecole Normale de Millersville, en Pennsylvanie, explique l’art de l’étiquette épistolaire. Une lettre devrait être vue non simplement comme une communication de l’intelligence, mais aussi comme un travail artistique. Parmi les centaines de lettres que Kafka a écrites durant sa brève vie, il y a de belles lettres d’amour et une merveilleuse lettre adressée à un ami d’enfance au sujet de l’effet des livres sur l’âme humaine. La question de l’importance des livres et de l’influence de la lecture sur notre âme a préoccupé les grands esprits, mais aussi les enfants. La meilleure réponse peut-être à ce que les livres représentent pour un esprit peint comme sombre et dépressif, bien que d’une extraordinaire sensibilité à la beauté de la vie, appartient à Kafka. Il écrit en 1903, alors qu’il est âgé de 20 ans, à son ami d’enfance Oskar Pollak : Certains livres ressemblent à une clé qui ouvre des chambres inconnues dans notre propre château. Je pense que nous devrions lire uniquement ce genre de livres qui nous blesse et nous poignarde. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup sur la tête, à quoi bon le lire ? Parce qu’il nous rend heureux, dites-vous ?  Bon Dieu, mais justement nous serions heureux si nous n’avions pas de livres, et le genre de livres qui nous rend heureux est celui que nous écririons nous-mêmes, s’il fallait. Nous avons besoin de livres qui nous affectent comme un désastre, qui nous fassent éprouver du chagrin, comme la mort de quelqu'un que nous avons aimé plus que nous-mêmes, comme si nous étions exilés en forêt, loin de tout, comme un suicide. Un livre doit être la hache pour briser la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois.

Nous trouvons toute la profondeur de son introspection dans la lettre de 47 pages écrite à son père, Hermann, en novembre 1919. La Lettre au père est au centre de l’œuvre de Kafka, et c’est aussi son écrit le plus autobiographique. Alors qu'il est âgé de 36 ans, il dresse un réquisitoire (jamais remis à son destinataire) pour abus émotionnel, pour les deux poids de mesure, pour la désapprobation constante qui ont marqué son enfance. Dans cette tentative obstinée pour comprendre leur relation faite d’admiration et de répulsion, de peur et d’amour, de respect et de mépris, les accusations qu'il formule sont déchirantes, si on les regarde à la lumière des découvertes psychologiques des dernières décennies. Notre contact émotionnel avec nos parents forme profondément notre caractère, et la configuration de nos habitudes émotionnelles et de nos modèles relationnels influencera toutes nos relations dans la vie, y compris en élargissant ou en rétrécissant notre aptitude à la résonance positive. Tout dépend de combien de nourrissantes ou de toxiques ont été ces relations formatrices de début. Pour ceux d’entre nous qui ont vécu des expériences similaires, infligées par un père ou par une mère, la lettre de Kafka a un extraordinaire écho. 

Voici quelques extraits de cette lettre désespérée, où se mêlent réel et fiction. Lettre au père. Document PDF.

 

Références

Matt HAIG, Reasons to Stay Alive, Ed. Canongate, Edinburgh-London, 2015/ Rester en vie. Mille raisons de se relever et d’exister pleinement, Editeur Philippe Rey, Le Livre de Poche, 2016

Kafka’s Remarquable Letter to His Abusive and Narcissistic Father (https://www.themarginalian.org)

Franz KAFKA, Lettre au père, Editions Gallimard, 1957

01/11/2022

Schopenhauer, notre contemporain

Schopenhauer, argumenter, lire, penserLa plupart des hommes parlent sans avoir eu le temps de réfléchir, et même s’ils constatent par la suite que ce qu’ils affirment est faux et qu’ils ont tort, ils s’efforcent de laisser paraître le contraire.

Et pourquoi cela ? Eh bien, nous dit Schopenhauer, à cause de la nature mauvaise du genre humain, de notre vanité innée, surtout en matière de facultés intellectuelles. Nous n’acceptons pas que notre raisonnement se révèle faux. Il faudrait que chacun puisse émettre des jugements justes et qu’il réfléchisse avant de parler. Mais chacun possède sa dialectique naturelle, tout comme il a sa logique naturelle. Un homme sera rarement dépourvu de logique naturelle, mais pas de dialectique naturelle : il s’agit là d’un don bien mal réparti (…). La logique n’est pas d’une grande utilité pratique, tandis que la dialectique est essentielle, puisque la logique s’intéresse à la forme des énoncés (l’étude du général), et la dialectique à leur fond, c’est-à-dire à leur contenu ou à leur substance (l’étude du particulier). D'ailleurs, observe Schopenhauer, il arrive souvent qu’on se laisse abuser par une argumentation, alors même qu’on a raison. Souvent, celui qui sort vainqueur d’un débat ne le doit pas tant à la justesse de son jugement dans l’articulation de sa thèse, mais plutôt à sa ruse et à son habileté à la défendre.

Schopenhauer rappelle que, pour Aristote, nos énoncés sont perçus différemment, selon la perspective adoptée : dans une perspective philosophique, on cherche la vérité, dans une perspective dialectique, on cherche l’opinion et l’approbation d’autrui. Dans L’art d’avoir toujours raison, le philosophe se livre à une réflexion sur le langage et la dialectique et analyse les stratagèmes pour sortir vainqueur de tout débat ou dispute. En voici un exemple.

Lire la suite