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01/10/2019

La peur

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(Photo- Livre)

Nous savons maintenant, depuis quelques décennies, que "le cortex préfrontal a perdu son leadership", comme l’affirme, avec humour, Antonio Damasio, dont les travaux en neurosciences sont bien connus. Notre corps envoie en permanence des signaux physiques émotionnels au cerveau (les marqueurs somatiques) pour l’alerter. Ce sont eux qui facilitent la prise de décision en cas de peur. Il existe un circuit lent pour le raisonnement, un circuit rapide pour les émotions : l’interaction de nos deux routes cérébrales détermine chacun de nos choix. Le cerveau émotionnel (la route basse) réagit en quelques millisecondes à un stimulus émotionnel pour produire une première réaction instinctive, une émotion, qui permet à l’individu de se faire une opinion expresse sur une situation donnée (en 500 millisecondes, une première impression: j’aime/j’aime pas). Le cerveau rationnel (la route haute) réagit après-coup pour contextualiser l’émotion et la réguler.


Nous savons également que l’aptitude à identifier et réguler les émotions a un impact positif majeur sur la santé mentale, la santé physique, la réussite professionnelle et les relations sociales. L’intelligence émotionnelle influence notre prise de décision. Les travaux de Joseph LeDoux sur la peur ont montré qu’une partie des stimuli arrivant au cerveau via les organes sensoriels n’est pas immédiatement traitée dans le cortex préfrontal, siège de nos pensées rationnelles, mais dans l’amygdale, une structure profonde très ancienne. Selon Antonio Damasio, qui a montré le rôle majeur des émotions dans la prise des décisions, une décision purement rationnelle est impossible. Il y a des situations où un cerveau doit être dirigé par l’émotion, dans les cas de dangers imminents, pour fuir, attaquer, se cacher…Dans d’autres situations, le système rationnel doit prendre le dessus, par exemple quand un chirurgien doit opérer. La grande beauté de l’être humain, dit le chercheur, c’est la coexistence harmonieuse des deux systèmes, et la civilisation et l’éducation devraient avoir à cœur d’apporter cette harmonie. Car gérer ses émotions, ça s’apprend. Par exemple, comment faire baisser la peur, si elle se présente ? En faisant naître d’autres émotions, comme l’espoir, ou en agissant sur son corps pour détendre les muscles, etc.,  des méthodes de régulation qui sont applicables dans la vie quotidienne. 

Quitter la zone rouge, celle où nous sommes stressés ou en colère, et retourner dans la zone verte, qui est notre 'maison', en traversant parfois la zone orange - voilà un défi de tous les jours pour nous tous, nous explique Rick Hanson (Leave The Red Zone, Just One Thing, Simple practices for resilient happiness). La zone verte est celle du calme, caractérisée par l’activation du système nerveux parasympathique qui répare et réalimente en énergie les circuits du corps et procure au cerveau un état de bien-être et de satisfaction. C’est dans cette zone que nous sommes normalement bienveillants envers nous-mêmes, envers les autres, envers le monde.

Dans la zone rouge, nous évitons les menaces, nous explorons les opportunités, nous gérons les relations. Le système nerveux sympathique s'active (se battre ou s’enfuir, fight-or-flight), les hormones du stress, comme le cortisol, se mettent à courir dans le sang, et la haine, l’avidité, ou le chagrin envahissent l’esprit. C’est la zone de la peur, de l’agressivité, de la possessivité. Si nous sommes perturbés, anxieux, frustrés, agacés, ou si nous nous sentons écrasés, inadéquats, nous nous trouvons dans la zone rouge, ou nous sommes en train de nous diriger vers elle.

Les deux modes de réponses du cerveau sont nécessaires, mais alors que la zone verte n’a que des bénéfices, la zone rouge nous coûte cher en bien-être, en santé, en longévité. La Mère nature était indifférente aux coûts de la zone rouge quand la plupart de nos ancêtres primates, hominidés et humains mourraient jeunes. Au cours d’une vie occupée, chaque jour nous offre des dizaines d’occasions pour passer du Rouge au Vert, et chaque fois que nous le faisons, nous renforçons les substrats neuronaux du Vert, une synapse à la fois. Dans des situations nécessaires et urgentes, le corps peut passer du Vert au Rouge en un battement de cœur. Mais ensuite, cela va prendre un certain temps pour repasser en mode vert, puisque les hormones du stress vont mettre un certain temps à métaboliser hors système. Même en mode jaune ou orange, les effets, et donc les coûts de l’activation du stress, sont présents.

Essayons de nous poser, en expirant lentement, deux fois plus longuement qu’en inspirant : cela va aider à activer le système nerveux parasympathique. Pensons à quelque chose qui puisse nous faire sentir plus sécurisés, accomplis, appréciés, rassurés, et concentrons-nous sur ces sentiments bénéfiques, en nous installant dedans. Relâchons la tension de notre corps autant que possible. Rappelons-nous que nous faisons de notre mieux, que nous seuls pouvons encourager les causes des choses positives, mais que nous ne contrôlons pas les résultats. Dans la vie de tous les jours, essayons de ralentir et de reculer. Parlons prudemment. Accordons-nous un peu de temps. Buvons un verre d’eau, mangeons quelque chose, utilisons la salle de bains. Avant d’agir, élevons notre niveau de fonctionnement (par exemple, en nous déplaçant du Rouge vers le Vert), le centre d’où jaillit toute action concrète. N’agissons pas par peur, colère, frustration, honte, ego blessé. Ne soufflons pas sur la braise.

Bien sûr, ces approches ne sont pas une panacée universelle, elles ne fonctionnent pas toujours. Néanmoins, il vaut mieux courtiser la nature et nous aider ainsi nous-mêmes à retourner à la maison, au Vert, conclut Rick Hanson.

La recherche sur le mécanisme physiologique de la peur, et des émotions en général, enregistre constamment de nouveaux progrès. Nous savons que face à un danger, la réponse de l’organisme est de se battre ou de s’enfuir (fight-or-flight), et que les modifications physiologiques qui l'accompagnent sont déclenchées en partie par l’adrénaline. Une étude récente des chercheurs de Columbia University Irving Medical Center suggère que les vertébrés ne peuvent avoir cette réponse face au danger que grâce au squelette. Plus exactement, la réponse aiguë au stress ne saurait être possible sans l’ostéocalcine, une hormone protéique spécifique des tissus osseux (ce qui expliquerait pourquoi les animaux qui ne produisent pas d’adrénaline peuvent développer aussi une forte réaction de stress ou de peur).

Le meilleur raccourci pour accéder à la compréhension de nos émotions et à nos sentiments, c’est l’art qui nous l’offre.  

« There is no formula to avoid fear », il n’y a pas de formule pour éviter la peur, dit la voix off dans le l’album Saturn Spins 2009, un mix techno de DJ Klaws (https://soundcloud.com/klaws). Pour l’éviter, non, mais on peut toujours essayer de la gérer.

"L'homme s’épuise par deux actes instinctifs qui tarissent les sources de son existence : vouloir et pouvoir, l’un nous brûle, l’autre nous détruit. Or, entre ces deux termes de l’action humaine, il y a une autre formule, dont s’emparent les sages, et qui vaut bonheur et longévité : savoir laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme". (Balzac, La Peau de chagrin).

"La plupart des gens souffrent de cette infirmité de ne pas savoir dire ce qu’ils voient ou ce qu’ils pensent. La littérature tout entière est un effort pour rendre la vie bien réelle. Toutes nos impressions sont incommunicables, sauf si nous en faisons de la littérature". (Pessoa, Le Livre de l’intranquillité)

"Il contempla le cerisier sans cligner des yeux pour essayer de calmer sa respiration, comme les médecins le lui avaient appris : concentre-toi, concentre-toi sur quelque chose de positif et d’anodin. L’arbre…Il commencerait à perdre ses feuilles d’ici à quelques semaines lorsque la fraîcheur s’installerait. Il écouta la circulation sur Constitution, et sentit peu à peu sa poitrine s’affaisser légèrement. Il tendit ensuite la main. Elle ne tremblait pratiquement plus." (Neely TUCKER, La voie des morts, Editions Gallimard, 2015 (The ways of dead, 2014)

On le sait bien, un livre n’existe que s’il est lu, et peut-être que sa véritable réussite est l’empathie de son lecteur. Un exercice que la romancière belge Amélie Nothomb accomplit parfaitement avec son dernier roman, "Soif". Jésus est en train de vivre ses derniers moments et il décrit ses émotions, ses sentiments, ses souvenirs et ses réflexions. De la lucidité, de la finesse, de l’humour, de la tendresse. "Pour éprouver la soif il faut être vivant". L’angoisse de mort est consubstantielle à l’être humain, le seul animal qui sait qu’il va mourir, mais alors que l’objet de l’angoisse est toujours non identifiable, la peur a toujours un objet concret : "Cette crucifixion est une bévue. Le projet de mon père consistait à montrer jusqu’où on pouvait aller par amour. Si seulement cette idée n’était que sotte, elle pourrait demeurer inutile. Hélas, elle est nuisible jusqu’à l’épouvante".

J’ai lu d’une traite les 150 pages et j’ai sélectionné quelques extraits dans le document PDF ci-joint.  

 

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