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Rendre la vie bien réelle

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littérature,existence,narration,thérapie,cerveau(Photos- Greenville, S.C, 2021)

Pour ce dernier mois de l’année, et à l’approche des vacances, nous vous adressons nos meilleurs vœux et vous proposons une note sur les vertus de la littérature. 

 

Joyeux Noël ! Joyeuses Fêtes !

 

"La littérature est une défense contre les offenses de la vie ", écrit Cesare Pavese (Le métier de vivre).

Pour Fernando Pessoa, "La littérature entière est un effort pour rendre la vie bien réelle" car "la plupart des gens souffrent de cette infirmité de ne pas savoir dire ce qu'ils voient ou ce qu'ils pensent ». [...] "Comme nous le savons tous, même quand nous agissons sans le savoir, la vie est absolument irréelle dans sa réalité directe : les champs, les villes, les idées, sont des choses totalement fictives, nées de notre sensation complexe de nous-mêmes. Toutes nos impressions sont incommunicables, sauf si nous en faisons de la littérature." (Le Livre de l’intranquillité). Il écrit également: "Si vous voulez savoir ce qu'est l'hystéro-neurasthénie, par exemple, ne lisez pas un traité de psychiatrie; lisez Hamlet. Si vous voulez savoir ce qu'est la démence terminale ne lisez pas un traité de psychiatrie; lisez Le Roi Lear ". Il est incontestable que la littérature reste le meilleur moyen de comprendre les comportements humains, les émotions, les sentiments. Pessoa a entretenu un rapport affectif avec le genre policier, qui est souvent considéré comme un genre paralittéraire, mineur, ou "populaire". Il était persuadé que "l'un des  rares divertissements intellectuels qui restent encore à ce qui demeure d'intellectuel dans l'humanité est la lecture de romans policiers", et pendant des décennies, il a écrit des textes inédits, "un par mois" jusqu'à sa mort, son personnage Quaresma étant aussi bien un maître de la déduction qu'un connaisseur du fonctionnement de l'âme humaine.

Les romanciers Fruttero & Lucentini trouvent que finalement, c’est la littérature qui s’est toujours occupée de la signification de l’existence :

"L'existence étant ce qu'elle est, il n'y a pas à s'étonner si les hommes se sont toujours préoccupés de sa possible signification. Les opinions courantes à ce sujet sont fondamentalement au nombre de trois: pour certains, l'existence a une signification précise, pour d'autres, elle n'en a aucune, pour d'autres, enfin, il n'est pas exclu qu'elle en ait une, mais chacun doit se débrouiller pour la trouver pour lui-même. En tout cas, il s'agit d'une question 'grave', traditionnellement réservée aux spécialistes, philosophes, prêtres, savants et penseurs, spéléologues, prisonniers libérés, commandants de pétroliers, actrices rescapées de la taillade de leurs poignets, etc. Les gens ordinaires n'en parlent pas, soit par bonne éducation, soit de crainte d'avoir l'air bêtes et mal informés, soit parce que les occupations de la vie quotidienne laissent peu de temps, passé seize ans, pour les échanges de méditations cartésiennes.(....) Nous passâmes d'urgence en revue diverses religions dans l'idée d'une éventuelle adhésion, nous considérâmes trois ou quatre religions progressistes et utopistes qui s'étaient imposées en même temps que la locomotive à vapeur, nous étudiâmes à fond quelques grands systèmes philosophiques antiques et modernes. Mais il ne nous fallut pas longtemps pour voir tout ce qu'il y avait d'incompatible entre nous et ces électromécaniciens de la vie, si sentencieux et sûrs de leurs diagnostics, et si facilement désavoués par un fil, un joint ou un contact déplacé.

Il ne nous restait donc que la littérature qui s'est toujours occupée, à vrai dire, de la signification de l'existence. Mais de quelle manière? Par des voies subtilement indirectes, tangentielles, allusives, symboliques, avec les silences, les hésitations, les délicatissimes précautions d'un homme qui essaie de pêcher un poisson avec les mains." (La signification de l'existence,1974, 1996 Arléa)

"La littérature, dont les principes organisateurs sont le mythe (c'est-à-dire l'histoire ou le récit) et la métaphore (c'est-à-dire le langage figuré et les images) est un monde libéré, le monde du libre épanouissement de l'esprit" (Northrop Frye, A Double Vision). La littérature se réapproprie les principes structurants de la mythologie, dont la dialectique se résume à une oscillation entre ce que l'homme vit dans son monde et ce qu'il rêve de vivre ailleurs, et c'est cette dialectique qui fonde les principaux modèles de l'imaginaire littéraire. Le métaphorique (et donc le symbole) se situe entre la rhétorique, comme art de persuader, et la poétique, comme art de dire la vérité par le moyen de la fiction, de la fable, du mythe. C'est la qualité et la force du désir de s'ancrer dans le réel qui inscrit l'homme dans l'existence, et ce désir ne peut être que passionnel, et donc conflictuel. La conscience, une fois qu'elle se voit absorbée par ses passions, réalise tout ce qui la met à distance d'elle-même et la déchire. C'est alors qu'elle s'efforce de retrouver son unité, sa fusion avec elle-même, par la victoire sur ses passions ou par l'acceptation réfléchie de ce qui la conduira au bien. On rend les passions rationnelles en parlant d'elles, en leur faisant une place dans le discours, car l'homme est un être de désir, mais il est aussi un être de parole; entre l'ordre de l'Etre et l'ordre du Logos, l'ordre du Symbole sert de médiateur qui philtre. 

La lecture peut être une thérapie pour gérer les défis émotionnels de l’existence. Les neurosciences ont trouvé que dans notre cerveau les mêmes réseaux s’activent quand nous lisons des récits et quand nous essayons de deviner les émotions d’une autre personne. Nos habitudes de lecture changent au fur et à mesure des étapes que nous traversons dans notre vie. Pour certaines personnes, lire de la fiction est simplement essentielle à leur vie. A une époque séculière comme la nôtre, lire de la fiction reste l’une des rares voies vers la transcendance, si l’on comprend par ce terme l’état insaisissable dans lequel la distance entre le moi et l’univers se rétrécit. Lire de la fiction peut nous faire perdre tout sens de l’ego, et en même temps, nous faire nous sentir pleinement nous-mêmes. Comme écrit Woolf, un livre nous divise en deux pendant que nous lisons, parce que l’état de lecture consiste en une totale élimination de l’ego, et qu’il nous promet une union perpétuelle avec un autre esprit.

Le besoin de narration et même la dépendance à la fiction sont à ce jour scrutés dans une perspective neurocognitive, comportementale. Le biologique, le psychologique, le social sont interdépendants. L’homme se distingue de l’animal par sa capacité à raconter des histoires, la narration étant la plus puissante forme de communication. Notre cerveau fonctionne comme un mécanisme narratif. Les psychologues et les théoriciens littéraires ont identifié un nombre de bénéfices attribués à la dépendance narrative. L’idée unanimement acceptée est que la narration est une forme du jeu cognitif qui aiguise notre esprit, en nous permettant de simuler la réalité autour de nous et d’imaginer des stratégies, particulièrement dans des situations sociales. Le récit nous apprend des choses sur les autres, il est également un exercice d’empathie et de la théorie de l’esprit. Les images du cerveau ont montré que l’écoute ou la lecture de récits activaient des régions du cortex impliquées dans le traitement des informations sociales et émotionnelles. Plus on lit de la fiction, meilleure sera notre empathie envers les autres.

La bibliothérapie est un terme qui désigne l’ancienne pratique consistant à encourager la lecture pour ses effets thérapeutiques. Sa première utilisation date de 1916, dans un article paru dans The Atlantic Monthly sous le titre A Literary Clinic. L’auteur y décrit un institut où l’on dispense des recommandations de lecture à valeur de guérison. Un livre peut être un stimulant ou un sédatif, un irritant ou un somnifère. Il a un effet certain sur nous, et nous devons savoir lequel. Nous choisissons nos lectures : des récits agréables qui nous font oublier, ou des romans qui nous sollicitent ou nous déstabilisent.

La bibliothérapie prend aujourd'hui des formes diverses et variées : des cours de littérature pour la population carcérale, des cercles pour personnes âgées ou atteintes de démence sénile. Il existe une bibliothérapie « émotionnelle », parce que la fiction a une vertu restauratrice. On peut prescrire des romans pour différentes affections, telles le chagrin d’amour, ou l’incertitude dans la carrière. En 2007, The School of Life a été créée avec une clinique de bibliothérapie, la fiction étant vue comme une cure suprême parce qu’elle offre aux lecteurs une expérience transformationnelle.

En fait, on retrouve la méthode chez les Grecs anciens qui avaient inscrit au-dessus de l’entrée de la bibliothèque de Thèbes que là, c’était un lieu pour la guérison de l’âme. La pratique s’est installée à la fin du XIXe siècle, quand Freud avait commencé à utiliser la littérature dans ses séances de psychanalyse. Après la Première Guerre, on prescrivait souvent un cours de lecture aux soldats traumatisés qui revenaient du front. Plus tard, et plus récemment, la bibliothérapie est utilisée par les psychologues, les travailleurs sociaux, les médecins, les gérontologues, comme un mode de thérapie viable. A présent, il existe un réseau international de bibliothérapeutes formés et affiliés à « School of Life ». Tous les lecteurs passionnés qui se sont soignés eux-mêmes avec de grands livres pendant toute leur vie savent que lire des récits est bon pour la santé mentale, pour les relations avec les autres. Mais de nos jours, cela est devenu encore plus clair grâce aux récentes recherches mettant en évidence les effets de la lecture sur le cerveau. La neuroscience de l’empathie doit beaucoup à la découverte des « neurones miroirs », au milieu des années ’90. Une étude publiée dans « Annual Review of Psychology », en 2011, basée sur l’examen des IRM du cerveau des participants, a montré que lorsque nous lisons une expérience, les mêmes régions neurologiques sont stimulées que lorsque nous effectuons nous-mêmes cette expérience. D'autres études publiées en 2006 et 2009 ont montré quelque chose de similaire –les gens qui lisent beaucoup de fiction ont tendance à être mieux en empathie avec les autres (le biais principal serait que les gens les plus empathiques ont tendance à lire des romans). En 2013, une étude importante publiée dans « Science » a trouvé que lire de la fiction littéraire (plutôt que de la fiction populaire ou de la fiction non littéraire) améliorait les résultats des participants aux tests mesurant la perception sociale et l’empathie, et qui sont essentiels dans la « théorie de l’esprit ». La capacité à deviner avec précision ce qu’un autre être humain pourrait penser ou ressentir est une compétence que les humains commencent à développer à partir de l’âge de 4 ans. Keith Oatley, romancier et professeur de psychologie cognitive à l’Université de Toronto, a dirigé pendant des années un groupe de recherche intéressé dans la psychologie de la fiction. Il écrit dans son livre Such Stuff of Dreams : The Psychology of Fiction, paru en 2011, que la fiction est une sorte de simulation qui a lieu non dans l’ordinateur, mais dans le cerveau : une simulation des egos en interaction avec d’autres dans le monde social, basée sur l’expérience et impliquant la capacité de réfléchir à des futurs possibles. L’idée que les livres sont les meilleurs amis est une conviction de beaucoup d’écrivains et de lecteurs. En tant qu’amis, les livres nous offrent la chance de répéter les interactions avec les autres dans le monde, mais sans les dégâts durables. Proust l'avait remarqué: avec les livres, il n’y a pas de sociabilité obligatoire. 

Néanmoins, tout le monde ne partage pas l’idée que la fiction nous procure la capacité à être meilleurs dans la vie réelle. Dans son livre paru en 2007, Empathy and the NovelSuzanne Keen se penche sur l’hypothèse de l’empathie-altruisme, en étant sceptique que les connections empathiques créées pendant la lecture fiction se traduisent réellement en un comportement altruiste, pro-social, dans le monde. Elle montre qu’une telle hypothèse est difficile à prouver. "Les livres ne peuvent pas opérer des changements par eux-mêmes. Comme tout rat de bibliothèque sait bien, les lecteurs peuvent être antisociaux et indolents. Lire des romans n’est pas un sport d’équipe". Mais nous devrions apprécier ce que la fiction nous offre, c’est-à-dire une libération de l’obligation sociale de ressentir quelque chose à l’égard des personnages inventés, ce qui signifie que paradoxalement les lecteurs répondent parfois avec une plus grande empathie à une situation et à des personnages qui ne sont pas réels, à cause du caractère protecteur de la fiction. Celle-ci soutient le bénéfice personnel d’une expérience d’immersion dans la lecture, qui permet d’échapper à la pression quotidienne. Donc, même si nous ne sommes pas d’accord que lire de la fiction nous fait mieux traiter les autres, au moins nous devons reconnaître que c’est une manière de mieux nous traiter nous-mêmes. Il a été démontré que lire met notre cerveau dans un état semblable à la transe, à la méditation, et que cela apporte les mêmes bénéfices pour la santé que la relaxation ou la paix intérieure. Les lecteurs réguliers ont un meilleur sommeil, moins de stress, une plus grande estime de soi, et enregistrent moins d’épisodes dépressifs que les non-lecteurs. "La fiction et la poésie sont des médicaments 

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01/12/2021 | Lien permanent

Les sciences humaines

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(Photo- Inscription au tableau dans la salle de notre cours sur les compétences émotionnelles, 2013

Le paradoxe de notre époque est que nous nous noyons dans l’information, tout en restant affamés de sagesse. Et pourtant, celle-ci est souvent considérée avec une certaine condescendance. Les sciences humaines enseignent le raisonnement critique, elles enrichissent également notre esprit et notre portefeuille. Premièrement, les arts libéraux offrent aux étudiants les compétences interpersonnelles et de communication qui sont extrêmement précieuses dans le monde du travail, surtout accompagnées de compétences techniques. Une éducation dans laquelle les arts libéraux sont présents est une clé de succès dans l’économie du 21 e siècle. Le retour aux pures compétences techniques est dépassé, la place est à ceux qui combinent les compétences douces – excellence dans la communication et les relations avec les autres – et les compétences dures. Celui qui a étudié l’informatique, l’économie, la psychologie ou d’autres sciences aura de la valeur et bénéficiera d’une grande flexibilité professionnelle. Nous avons besoin des deux pour maximiser notre potentiel. Une formation de base en biologie, en informatique, en physique, pourra être enrichie par des cours sérieux en histoire, par exemple. Notre société a besoin de personnes formées dans les sciences humaines et qui soient capables d’aider à la prise des décisions politiques justes, sages.

Les grandes compagnies technologiques se retrouvent souvent confrontées aux problèmes d’ordre éthique (Facebook, Twitter), et dans d’autres domaines, comme celui des modifications génétiques, les facteurs régulateurs doivent disposer d’excellentes données scientifiques et humanistes. Les sciences exactes dépendent des sciences humaines pour formuler des jugements par rapport à l’éthique, aux limites, aux valeurs. Quelle que soit la base de notre carrière, la plus grande part de notre bonheur repose sur nos interactions avec ceux qui nous entourent, et il est évident que la littérature favorise une plus riche intelligence émotionnelle. Les études menées montrent que les sujets qui lisent de la fiction littéraire sont meilleurs pour déchiffrer les émotions d’une personne sur la photo, que ceux qui lisent de la non fiction ou des romans populaires. La littérature fournit des leçons sur la nature humaine et nous aide à décoder le monde autour, à être de meilleurs amis, en créant de passerelles dans la compréhension. Bref, il est parfaitement logique d’étudier le codage et la statistique, mais aussi la littérature et l’histoire. (Starving for wisdom, publié dans The New York Times)

Voici l'opinion de Peter Salovey, professeur de psychologie connu pour ses contributions à la recherche dans l’intelligence émotionnelle, et Président de l’Université de Yale.

Dans notre monde complexe et interconnecté, nous avons besoin de leaders de l’imagination, de la compréhension, de l’intelligence émotionnelle, des femmes et des hommes capables d’aller au-delà des débats polarisés et de relever des défis. Pour cultiver de tels leaders, nous devons reconnaître la valeur des sciences humaines et y investir. Je suis psychologue de formation et j’étudie les émotions humaines. L’art, la littérature, l’histoire et d’autres branches des sciences humaines sont essentielles au développement de notre intelligence émotionnelle, de la compréhension de nous-mêmes et d’autrui. Elles nous aident à affronter l’incertitude, à comprendre la complexité, à éprouver de l’empathie. Observez ce qui se passe lorsque vous lisez un roman. Plongé dans le récit, vous êtes invité à imaginer le monde à partir de la perspective du personnage. Vous pensez à l’interaction entre les désirs d’une personne et ses faits. Quand vous écoutez de la musique, quand vous allez voir une pièce de théâtre ou vous visitez un musée, vous avez une réponse émotionnelle, laquelle vous connecte à d’autres gens et à des perspectives nouvelles. Nous développons notre intelligence émotionnelle et nous apprenons les compétences de l’empathie, de l’imagination et de la compréhension à travers les sciences humaines. Ces compétences, si elles sont cultivées, permettront aux leaders de répondre brillamment aux défis et aux opportunités dans chaque domaine d’activité. Nos scientifiques sont meilleurs dans leur travail s’ils lisent de la littérature, nos diplomates et nos généraux sont plus efficaces quand ils comprennent les langues, nos informaticiens sont capables de penser au-delà des algorithmes quand ils connaissent l’art et la musique. 

Partout dans le monde, nous pouvons apercevoir les bénéfices de la globalisation. Toutefois, les débats se poursuivent concernant le développement équitable, la diversité des peuples et des cultures dans le respect de l’environnement. Les sciences humaines doivent être partie prenante. Le rôle de leadership exige davantage de compréhension sur ces aspects complexes, il demande une estimation de tout ce qui fait le sens et la plénitude de la vie. Comme disait Lei Zhang, un leader de succès et diplômé de Yale, les sciences humaines sont essentielles au raisonnement. Si l'on isole les données et la technologie des sciences humaines, c’est comme si l'on essayait de nager sans l’eau ; vous pouvez avoir tous les mouvements de Michael Phelps, mais vous aurez du mal à arriver quelque part. Les sciences humaines fournissent le contexte, la possibilité de la compréhension réelle de tout ce que l’avenir promet. 

Pour exploiter la force extraordinaire des sciences humaines, nous devons nous assurer qu’elles sont largement accessibles. Des institutions comme la mienne, en tant que gardiennes des plus grands trésors culturels, doivent œuvrer à partager la joie et la beauté des sciences humaines avec le public. Autrement, les leaders potentiels du futur seront perdants dans la possibilité de les apprendre. Les institutions de culture et d’éducation peuvent faire que le monde soit un endroit plus équitable et plus juste, grâce au pouvoir transformateur des sciences humaines. En dépit des prouesses technologiques pour relier les gens, nous restons souvent isolés dans nos cercles étroits. Les nouveaux outils numériques peuvent nous aider à mieux approcher ces sciences, en permettant à un plus grand nombre de personnes, au-delà des divisions, à travers le temps et l'espace, d'explorer nos ressources culturelles. Les défis de notre époque sont graves : pauvreté, famine, changement climatique et menaces à la sécurité nationale et globale - autant de tests pour les plus grands leaders. Par ces temps-ci, il semble prudent d’oublier l’art, la musique, la littérature, les langues. Nous avons déjà connu un moment similaire. En 1939, quand la guerre faisait des ravages en Europe et en Asie, le président de Yale, Charles Seymour, s’inquiétait pour les arts libéraux. Le public ne les jugeait pas « utiles », mais Seymour était convaincu que les sciences humaines étaient indispensables. « Sans elles, l’héritage de l’expérience humaine est appauvri ». Maintenant, comme hier, nous devons les apprécier même au milieu des conflits et de la division. Il n’y a qu’à travers elles que nous pouvons préparer des leaders, de l’empathie, de l’imagination, de la compréhension. Des leaders réactifs et responsables qui embrassent la complexité et la diversité. Nos institutions doivent jouer un rôle dans le leadership en rendant les trésors de ces sciences disponibles. C’est notre responsabilité de préparer les leaders de demain, et d’élever et de défendre « l’héritage d l’expérience humaine » que nous partageons tous. (We need the humanities more than ever, by the President of Yale)

La vidéo The Jobs of The Future publiée par Big Think (partagée sur Facebook Cefro) explique que les métiers du futur seront ceux que les robots ne pourront pas faire, car ils ne comprennent pas les plus simples choses du comportement humain et du monde. Les robots ne savent pas que l’eau est humide, ou que les cordes doivent être tirées et non poussées. Les emplois qui vont disparaître sont les emplois répétitifs (l’industrie automobile et l’industrie textile seront menacées). Les emplois non-répétitifs vont survivre ou vont se développer: l’assainissement, le bâtiment, le jardin, la police. Les cols blancs moyens - comptables, agents, caissiers - seront poussés hors du travail. Dans le monde des cols blancs, les bénéficiaires seront ceux qui sauront s'impliquer dans le capitalisme intellectuel. Celui-ci ne signifie rien d’autre que du bon sens : créativité, imagination, leadership, analyse, capacité à raconter une anecdote, à écrire un scénario ou un livre, à faire de la science. Selon Tony Blair, la Grande Bretagne tire plus de revenus de la musique rock que du charbon. Nous passons du capital de base, comme le charbon, au capital intellectuel, comme le rock and roll. 

 
 

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26/04/2017 | Lien permanent

Joyeuses Fêtes!

récit, extraits, roman policier, Raymond Chandler

Joyeux Noël! Merry Christmas! 

(Photo -Aux Galeries Lafayette, Nice

Le récit est l’une des formes les plus universelles et les plus puissantes du discours et de la communication humaine. Notre esprit fonctionne comme un mécanisme narratif, le récit sous-tend toute notre existence, sa forme narrative est liée à l’entrée dans la culture. Il représente une façon imaginaire d’explorer le monde. Notre capacité à restituer l’expérience en termes de récit n’est pas seulement un jeu d’enfant : « c’est un outil pour fabriquer de la signification, qui domine l’essentiel de notre vie au sein d’une culture », affirme Jerome Bruner, l’un des fondateurs de la psychologie cognitive. (Les bons récits ; Le récit, c’est la vie)

En 1950, Raymond Chandler écrit dans son Essai sur le roman policier:

"Tout ce qui est écrit avec vie exprime cette vie ; il n’y a pas de sujet ennuyeux, rien que des auteurs ennuyeux. Tout lecteur s’évade de son monde pour passer de l’autre côté de la page imprimée. On peut discuter de la qualité de ce rêve, mais il est devenu une nécessité vitale. Tout homme doit échapper de temps à autre au rythme mortel de ses pensées." 

Voici plus loin quelques extraits de Simple comme le crime (The Art of Murder):

 

Le roman, sous toutes ses formes, s’est toujours voulu réaliste. (…) Les chroniques de la vie bourgeoise provinciale de Jane Austen, avec leurs caractères fortement inhibés, nous semblent réalistes sur le plan psychologique. Ce genre d’hypocrisie dans les relations sociales et les sentiments ne manquent certes pas de nos jours. Ajoutez-y une bonne dose de prétention intellectuelle et vous obtiendrez le style de la page littéraire de votre quotidien, le sérieux imbécile des discussions dans les petits salons. Les gens qui les fréquentent fabriquent les best-sellers en conjuguant campagne publicitaire et appel au snobisme, avec l’aide attentive des phoques savants de la Confrérie des Critiques, et l’assistance attentionnée de certains groupes de pression beaucoup trop puissants, dont la fonction est de vendre des livres bien qu’ils prétendent promouvoir la culture.(...) Pour diverses raisons, le roman policier se prête rarement à ce genre de promotion. Racontant généralement un meurtre, il manque par là même d’élévation morale. L’assassinat, qui anéantit un individu et porte donc atteinte à toute l’espèce, peut avoir, et a effectivement, de nombreuses implications sociologiques. Mais on tue depuis trop longtemps pour que le meurtre ait l’attrait du neuf. Si tant est qu’il soit réaliste (c’est très rarement le cas), le roman policier est écrit avec un certain détachement, sans lequel ses auteurs comme ses lecteurs se recruteraient uniquement parmi les malades mentaux. Autre caractéristique décourageante, le « polar » ne s’occupe que de ses propres affaires, ne règle que ses propres problèmes et ne répond qu’aux questions qu’il se pose. Il n’offre qu’un seul sujet de discussion : est-il assez bien écrit pour être un bon roman ? (…)

Le roman policier doit trouver lui-même son public par un lent  processus de décantation. Qu’il y parvienne est un fait patent, dont je laisse à des esprits plus patients que le mien d’étudier les causes. Il n’entre pas davantage dans mes intentions de soutenir qu’il constitue une forme d’art capitale et essentielle. Il n’y a pas de forme d’art capitale, il y a l’art tout court –et c’est une denrée plutôt rare. (…) Pourtant, il est difficile d’écrire un bon roman policier, même des plus conventionnels. (…) Hemingway dit que le bon écrivain n’a que des morts pour rivaux. Le bon auteur de roman policier – il doit bien y en avoir quelques-uns – affronte non seulement tous les morts non enterrés mais aussi toute la kyrielle des vivants.  Et quasiment à armes égales, car l’une des qualités du genre, c’est de ne jamais se démoder. (…)

Dans sa préface à la première Anthologie du crime, Dorothy Sayers écrit : « Le roman policier n’atteint pas et ne peut jamais atteindre, du fait de sa nature même, les sommets de l’art littéraire. » Et elle suggère ailleurs que c’est parce que c’est une « littérature d’évasion » et non une « littérature d’expression ». J’ignore ce qu’est un sommet de l’art littéraire, Eschyle ou Shakespeare aussi, et miss Sayers également. Toutes choses égales par ailleurs - ce qui n’arrive jamais -, un thème plus fort donne un ouvrage plus puissant. Toutefois, on a écrit sur Dieu des livres mortellement ennuyeux et d’autres tout à fait remarquables sur l’art de gagner sa vie en demeurant à peu près honnête. Cela dépend toujours de la personnalité de l’auteur, de ce qui le fait écrire.

Quant à « littérature d’évasion » et « littérature d’expression », c’est du jargon de critique qui se sert de mots abstraits comme s’ils avaient une signification absolue. Tout ce qui est écrit avec vie exprime cette vie ; il n’y a pas de sujet ennuyeux, rien que des auteurs ennuyeux. Tout lecteur s’évade de son monde pour passer de l’autre côté de la page imprimée. On peut discuter de la qualité de ce rêve, mais il est devenu une nécessité vitale. Tout homme doit échapper de temps à autre au rythme mortel de ses pensées. Cela fait partie du développement même de la vie chez les êtres pensants. (…) Je ne tiens pas particulièrement à plaider la cause du roman policier, littérature d’évasion par excellence. Je dis simplement que toute personne qui lit pour son plaisir s’évade, que ce soit avec une grammaire grecque, un manuel de mathématiques, un ouvrage d’astronomie, un livre de Benedetto Croce ou le Journal d’un raté. Prétendre autre chose, c’est donner dans le snobisme intellectuel, c’est ne pas connaître grand-chose à l’art de vivre. (…)

Tout ce qui mérite le nom d’art a un aspect rédempteur. Ce peut être de la tragédie pure (quand c’est de la grande tragédie), de la pitié ou de l’ironie, ou encore le rire éraillé d’un homme fort. Mais dans ces rues sordides doit s’avancer un homme qui n’est pas sordide lui-même, qui n’est ni véreux ni apeuré. Dans ce genre de roman, le détective doit être un homme de cette trempe. Il est le héros, il est tout. Il doit être un homme complet, à la fois banal et exceptionnel. Il doit être, pour employer une formule un peu usée, un homme d’honneur –par instinct, par fatalité, sans même y penser et surtout sans le dire. Il doit être le meilleur de son monde et capable de faire bonne figure dans n’importe quel autre. Je ne m’intéresse pas tellement à sa vie privée mais ce n’est ni un eunuque ni un satyre. Je le crois capable de séduire une duchesse et incapable de souiller une pucelle : s’il est homme d’honneur dans un domaine, il l’est dans tous.

Mon héros est relativement pauvre, sinon il ne serait pas détective. C’est un homme ordinaire, sinon il ne pourrait pas fréquenter les gens ordinaires. En matière de psychologie, il est perspicace, sinon il ne connaîtrait pas son boulot. Il se refuse à gagner de l’argent malhonnêtement et ne se laisse insulter par personne sans réagir comme il se doit, en gardant cependant la tête froide. C’est un solitaire ; sa fierté, c’est que vous le traitiez en homme fier –sinon vous regretterez de l’avoir rencontré. Il parle comme un homme de son époque, c’est-à-dire avec un humour caustique, un sens aiguisé du ridicule, un profond dégoût pour le factice et un grand mépris pour la mesquinerie.

Le roman tel que je le conçois, c’est l’aventure de cet homme cherchant une vérité cachée, et ce n’en serait pas une si elle n’arrivait pas précisément à un homme taillé pour l’aventure. Il montre une vigilance d’esprit qui étonne mais qui lui appartient de droit parce qu’elle est celle du monde dans lequel il vit. S’il y avait assez d’hommes comme lui, le monde serait, je crois, un endroit où l’on vivrait en toute sécurité, mais pas trop ennuyeux cependant pour qu’on ait envie d’y vivre.

 

(Les ennuis, c’est mon problème, L’intégrale des nouvelles, suivi de Simple comme le crime, Essai sur le roman policier, Editions Omnibus, 2009)

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Lire Spinoza, une forme de thérapie

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(Photo- L'hiver, ailleurs)

Le mal est une absence de bien (privatio boni). C’est ce que dit Thomas d'Aquin, philosophe et théologien, l’un des pionniers de la Scolastique au 13 e siècle, Docteur de l’Eglise, le plus saint des savants et le plus savant des saints. Thomas d'Aquin occupe un chapitre dans mon travail de Thèse sur la pensée et la littérature du Moyen Âge, et, des années plus tard, quand mon intérêt allait s'élargir au domaine des émotions et des neurosciences, sa formule concise privatio boni, comme définition du mal, m'est apparue sous un autre éclairage. Par exemple, à propos de l’absence de joie, même dans les moindres aspects de la vie (ce que l’on appelle anhédonie ou perte de la capacité à éprouver du plaisir - symptôme central de la dépression majeure et de certains troubles neuropsychiatriques).

Mais plus concrètement, comment faire quand on se trouve confronté au mal absolu, c'est-à-dire à la mort, violente et soudaine, d’un être cher ? En général, il existe deux solutions censées apporter un peu de consolation : la religion (la foi) et la philosophie (la raison). C’est pourquoi, depuis novembre dernier, je me suis plongée dans la lecture de mon philosophe-thérapeute, Spinoza, qui m'avait déjà aidée en 2003, dans un moment difficile. 

Ceux qui connaissent Spinoza savent qu’il était loin d’être athée (bien qu’il fût excommunié), et qu’il a créé peut-être le plus cohérent des systèmes philosophiques, où la Raison et la Joie occupent une place fondamentale: Deus sive Natura. Il explique, dans son Traité de la réforme de l’entendement, le but de sa recherche : "Je résolus de chercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l’âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine". Ce Bien suprême est Dieu, mais c'est le Dieu de Spinoza. 

Cette fois-ci, j'ai choisi le Traité théologico-politique. J’ai résumé quelques idées dans ce document PDF.  

 

Références 

Spinoza, Œuvres II. Traité Théologico-politique, GF-Flammarion, 1965

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01/02/2023 | Lien permanent

Schopenhauer, notre contemporain

Schopenhauer, argumenter, lire, penserLa plupart des hommes parlent sans avoir eu le temps de réfléchir, et même s’ils constatent par la suite que ce qu’ils affirment est faux et qu’ils ont tort, ils s’efforcent de laisser paraître le contraire.

Et pourquoi cela ? Eh bien, nous dit Schopenhauer, à cause de la nature mauvaise du genre humain, de notre vanité innée, surtout en matière de facultés intellectuelles. Nous n’acceptons pas que notre raisonnement se révèle faux. Il faudrait que chacun puisse émettre des jugements justes et qu’il réfléchisse avant de parler. Mais chacun possède sa dialectique naturelle, tout comme il a sa logique naturelle. Un homme sera rarement dépourvu de logique naturelle, mais pas de dialectique naturelle : il s’agit là d’un don bien mal réparti (…). La logique n’est pas d’une grande utilité pratique, tandis que la dialectique est essentielle, puisque la logique s’intéresse à la forme des énoncés (l’étude du général), et la dialectique à leur fond, c’est-à-dire à leur contenu ou à leur substance (l’étude du particulier). D'ailleurs, observe Schopenhauer, il arrive souvent qu’on se laisse abuser par une argumentation, alors même qu’on a raison. Souvent, celui qui sort vainqueur d’un débat ne le doit pas tant à la justesse de son jugement dans l’articulation de sa thèse, mais plutôt à sa ruse et à son habileté à la défendre.

Schopenhauer rappelle que, pour Aristote, nos énoncés sont perçus différemment, selon la perspective adoptée : dans une perspective philosophique, on cherche la vérité, dans une perspective dialectique, on cherche l’opinion et l’approbation d’autrui. Dans L’art d’avoir toujours raison, le philosophe se livre à une réflexion sur le langage et la dialectique et analyse les stratagèmes pour sortir vainqueur de tout débat ou dispute. En voici un exemple.

Stratagème 1. Ou l’extension. ll s’agit de pousser l’affirmation adverse au-delà de ses frontières naturelles, en l’interprétant de la manière la plus générale possible, en la prenant au sens le plus large possible, en la caricaturant ; tout en restreignant le sens de la sienne au maximum, en la délimitant au plus serré : de fait, plus une affirmation est générale, plus elle prêtera le flanc aux attaques. (…)  Exemple 1. Je dis : « Dans le domaine dramatique, les Anglais se classent au premier rang des nations. » L’adversaire tente un contre-exemple : « Il est de notoriété publique qu’ils ne valent pas grand-chose en musique, et donc en opéra. » Je coupe court, rappelant que « le terme dramatique ne recouvre pas le champ musical, mais uniquement la tragédie et la comédie. » Ce dont il avait bien évidemment tout à fait conscience, essayant simplement de généraliser mon affirmation de telle sorte qu’elle vienne s’appliquer à tout type de représentation scénique, et donc à l’opéra, et donc à la musique, avant de pouvoir m’infliger le coupe de grâce. (…)

Dans ce livre, vous trouverez 38 stratagèmes précieux et sarcastiques, avec leurs exemples, l’ultime stratagème étant celui-ci : Si on constate que l’adversaire nous est supérieur, et qu’on ne pourra pas avoir raison, on s’en prendra à sa personne par des attaques grossières et blessantes. L’attaque personnelle consiste à se détourner  de l’objet du débat (dès lors que la partie semble perdue) pour s’en prendre à la personne du débatteur. (…) L’attaque personnelle, elle, abandonne totalement le fond, pour ne cibler que la personne de l’adversaire : notre propos se fera alors blessant, hargneux, insultant, grossier. Toutefois, observe Schopenhauer, ce ne sont pas les paroles grossières et blessantes qui accableront le plus l’adversaire. Puisque rien n’est plus important à l’homme que la satisfaction de sa vanité, nulle blessure n’est plus douloureuse que celle qui est infligée à sa vanité. Or, la vanité se nourrit principalement de la comparaison avec autrui, ce qui est valable dans tout contexte, mais surtout lorsqu'on touche aux facultés intellectuelles. C’est pourquoi la solution la plus sûre est celle que formule Aristote dans ses Topiques : ne pas débattre avec le premier venu, mais uniquement avec des gens que l’on connaît et dont on sait qu’ils ont assez d’entendement pour ne pas débiter trop de stupidités, qui vont faire appel à la raison et non à des citations, qui seront capables d’entendre un argument rationnel et y souscrire, qui respectent la vérité et qui prennent plaisir à entendre un argument fondé, même de la bouche de l’adversaire, qui ont assez d’honnêteté intellectuelle pour reconnaître avoir tort si la vérité est dans l’autre camp.

 La friction intellectuelle qu’est le débat crée les conditions d’un profit mutuel aux esprits qu’il confronte, leur permettant de rectifier leur propre pensée, et d’ouvrir des perspectives nouvelles. Mais les deux débatteurs doivent être au même niveau culturellement et intellectuellement. 

Nous parlerions aujourd'hui de dissonance cognitive, de théories du complot, de fake news.

Mais regardons ce que le philosophe dit sur la lecture, les livres, les penseurs personnels, avec son style incisif, littéraire, et son pessimisme qui avait imprégné toute la moitié du XIX e siècle, jusqu'à Nietzsche et Freud.

L’ignorance ne dégrade l’homme que lorsqu'on la trouve accompagnée de la richesse. Le pauvre est accablé sous sa détresse ; son travail prend la place du savoir et occupe ses pensées ; par contre, les riches qui sont ignorants vivent uniquement pour leurs plaisirs et ressemblent aux bêtes : on constate cela chaque jour.

Quand nous lisons, nous suivons le processus mental de celui qui a écrit. C’est-à-dire, nous ne faisons pas le travail de la pensée, en tout cas, pour la plus grande partie. Celui qui lit beaucoup et presque toute la journée, dit le philosophe, perd peu à peu la faculté de penser par lui-même, ce qui est le cas d’un grand nombre d’hommes instruits : ils ont lu jusqu'à s’abêtir. Un excès de nourriture intellectuelle peut surcharger et étouffer l’esprit. Car, plus on lit, et moins ce qu’on a lu laisse de traces dans l’esprit… (…) on n’arrive pas à ruminer ; mais ce n’est qu’en ruminant qu’on assimile ce qu’on a lu.

Nous ne pouvons acquérir, par la lecture des écrivains, aucune des qualités qu’ils possèdent: par exemple, force de persuasion, richesse d’images, don des comparaisons, hardiesse ou amertume, brièveté, grâce, légèreté d’expression, ou esprit, contrastes surprenants, laconisme, naïveté, etc. Mais si nous sommes déjà doués de ces qualités, c’est-à-dire si nous les possédons potentiâ, nous pouvons par- là les faire éclore en nous, les amener à la conscience (…)

Voici un extrait tellement actuel :

Il n’en est pas autrement en littérature que dans la vie : de quelque côté qu’on se tourne, on se heurte aussitôt à l’incorrigible populace de l’humanité. Elle existe partout par légions, remplissant tout, salissant tout, comme les mouches en été. De là, la quantité innombrable de mauvais livres, cette ivraie parasite de la littérature, qui enlève sa nourriture au froment, et l’étouffe. Ils accaparent le temps, l’argent et l’attention du public, qui appartiennent de droit aux bons livres et à leur noble destination, tandis qu’eux ne sont écrits qu’en vue de grossir la bourse ou de procurer des places. Ils ne sont donc pas seulement inutiles, ils sont positivement nuisibles. (…) Auteurs, éditeurs et critiques on fait un pacte sérieux à ce sujet.

En fait, ce qui a motivé cette note, a été le dernier prix Nobel de littérature (2022) - un auteur qui m’était inconnu (ou, si vous préférez, une autrice/auteure). L’auteur en question est français, mais il aurait pu être sud-américain, ou autre, tout aussi inconnu. Car, dit Schopenhauer, l’art de ne pas lire est des plus importants. Il consiste à ne pas prendre en main ce qui de tout temps occupe le grand public (…). Rappelez-vous plutôt, en cette occasion, que celui qui écrit pour des fous trouve de tout temps un public étendu ; et le temps toujours strictement mesuré qui est destiné à la lecture, accordez-le exclusivement aux œuvres des grands esprits de toutes les époques et de tous les pays, que la voix de la renommée désigne comme tels, et qui s’élèvent au-dessus du restant de l’humanité. Ceux-là seuls forment et instruisent réellement. Pour lire le bon, il y a une condition : c’est de ne pas lire le mauvais. Car la vie est courte, et le temps et les forces sont limités. [J’ai suscité certaines réactions sur Facebook en avouant que je ne connaissais pas l'écrivain nobélisé cette année "pour sa littérature engagée", comme écrit le journal Libération, et que je n’avais pas la curiosité de le découvrir, après m’être renseignée un minimum sur son univers et ses valeurs].

Les mauvais livres sont un poison intellectuel ; ils détruisent l’esprit. Parce que les gens, au lieu de lire ce qu’il y a de meilleur dans toutes les époques, ne lisent que les dernières nouveautés, les écrivains restent dans le cercle étroit des idées en circulation, et l’époque s’embourbe toujours plus profondément dans sa propre fange. 

Schopenhauer remarque que l’effet exercé sur l’esprit d’une part par la pensée personnelle, d'autre part par la lecture, est très différent. Dans la lecture, l’esprit est contraint du dehors et les idées lues lui sont étrangères et hétérogènes, tandis que dans la pensée personnelle, au contraire, l’esprit suit sa propre impulsion, telle qu’elle est déterminée pour le moment ou par les circonstances extérieures, ou par quelque souvenir. Les circonstances perceptibles impriment dans l’esprit non une simple pensée définie, comme fait la lecture, mais lui donnent purement la matière et l’occasion de penser ce qui est conforme à sa nature et à sa disposition présente. En conséquence, lire beaucoup enlève à l’esprit toute élasticité, comme un poids qui pèse constamment sur un ressort ; et le plus sûr moyen de n’avoir aucune idée en propre, c’est de prendre un livre en main dès qu’on dispose d’une seule minute.

L’opinion du philosophe est que par la lecture nous accédons aux pensées des autres, et que seules nos pensées fondamentales personnelles ont vérité et vie, la lecture étant un succédané de la pensée personnelle. Or, chasser ses pensées originales  pour prendre un livre en main, c’est un péché contre le Saint-Esprit. On ressemble alors à un homme qui fuirait la vraie nature pour regarder un herbier ou examiner de belles régions en gravure. Néanmoins, si, à force de travail, de méditation et de réflexion, nous découvrons une vérité que nous aurions pu trouver toute prête dans un livre, cette vérité obtient par la pensée personnelle cent fois plus de valeur. Elle pénètre alors comme partie intégrante, comme un membre vivant, dans tout notre système pensant.

En termes actuels, nous parlerions du pouvoir de la réflexion, qui est un processus personnel basé sur notre capacité de discernement, mais également sur notre vécu, sur nos expériences. Dans le même temps, la simple expérience ne peut remplacer la pensée, pas plus que la lecture. La vérité simplement apprise n’adhère à nous que comme un membre artificiel, une fausse dent, un nez en cire (…). Mais la vérité acquise par notre propre penser est semblable au membre naturel ; elle seule nous appartient réellement.

Schopenhauer conclut que ce monde n’est pas peuplé de pensants véritables, car si la nature avait destiné l’homme à penser, elle ne lui aurait pas donné d’oreilles, pour entendre les bruits illimités de toute espèce. Mais l’homme est en réalité un pauvre animal semblable aux autres, dont les forces sont calculées en vue du maintien de son existence. Aussi doit-il tenir constamment ouvertes ses oreilles, qui lui annoncent d’elles-mêmes, la nuit comme le jour, l’approche de l’ennemi.

 

Référence 

Arthur SchopenhauerL’Art d’avoir toujours raison. La lecture et les Livres. Penseurs personnels.

Librio, 2021

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01/11/2022 | Lien permanent

La pensée autonome (2)

août septembre 2013 002.JPGAprès plus de 30 ans de règne absolu de la psychanalyse en France, dans la culture, l'éducation, les médias, il y a eu le choc 2004 -2005: la publication du rapport de l'INSERM sur l'efficacité des psychothérapies, et sa suppression du site du Ministère de la Santé, sous la pression du puissant lobby psychanalytique. Une brèche venait de s'ouvrir dans le mur de cette pensée hégémonique, dont la capacité de séduction continue encore d'opérer en France, en Argentine et au Brésil. Dans le reste du monde occidental, la psychanalyse est dépassée, ses théories invalidées et obsolètes, son endoctrinement tari.. Paru en 2005, Le livre noir de la psychanalyse a représenté l'événement majeur dans la critique du freudisme et un ouvrage salutaire dans l'information du public ( lire sur Amazon les commentaires qui résument parfaitement l'ouvrage). Dans son introduction Pourquoi un livre noir de la psychanalyse?, la coordinatrice de l'ouvrage Catherine Meyer écrit: "La connaissance de l'homme, de sa vie psychique, a beaucoup évolué depuis un siècle. Il existe bien d'autres approches que celle des psychanalystes pour appréhender, analyser et soigner la souffrance mentale. Il y a une vie après Freud: on peut, en thérapie, travailler sur un inconscient non freudien, on peut aussi s'intéresser à l'enfance, à la sexualité, à l'histoire et aux émotions de chacun sans adhérer aux concepts freudiens. (...) Sigmund Freud a influencé notre propre manière de vivre, c'est l'évidence. Il est important pour chacun de nous de savoir quelle est la part de science, de philosophie et d'illusion qui préside à cette conception de l'homme."
 
J'ai quelques raisons pour lesquelles j'ai voulu rappeler Le Livre noir de la psychanalyse. Sur le "marché" de la souffrance psychique, la psychanalyse se voit forcée "d'adapter" son discours, comme une église qui feint l'ouverture, tout en veillant plus que jamais à la préservation de son dogme. Comme une église, elle cherche des territoires, là où cela paraît encore possible : l'espace méditerranéen, l'Amérique latine, l'Europe de l'est. On sait bien que la force de cette pensée unique réside dans son système de formation, à savoir dans son appareil institutionnel, qui lui a permis de se maintenir en tant que thérapie de prédilection. Dans la Roumanie de Ceausescu, la psychanalyse était enseignée en Faculté des lettres, et les ouvrages de Freud pouvaient être consultés à la Bibliothèque Centrale Universitaire de Bucarest. C'est comme ça, d'ailleurs, que j'ai connu Freud. Et si sa place était dans un cours de littérature et de philosophie, et non sur le terrain du soin, c'est peut-être parce que l'ironie voulait qu'un totalitarisme idéologique n'accepte pas la concurrence d'un autre totalitarisme intellectuel..Pendant mes plus de 20 ans vécus en France, j'ai été amenée à déchiffrer à quel point la société française était imprégnée de la pensée freudienne. 
 
Il est évident que les progrès de la science authentique vont vaincre les dernières résistances.
En 2009, L'Institut de Santé des Etats-Unis lançait un programme de recherche en neurosciences sur 5 ans financé à hauteur de presque 40 millions de dollars - Human Connectome Project  -  l'objectif étant d'établir une carte des réseaux du cerveau, ce qui facilitera la compréhension des troubles tels la dyslexie, l'autisme, l'Alzheimer, la schizophrénie.
La formation des spécialistes (souvent multidisciplinaire) figure parmi les enjeux de taille de ce siècle. En Roumanie, la prise en charge des enfants autistes est confrontée non seulement au manque de structures sociales et éducationnelles, au manque de financement, au chaos institutionnel, en général, mais aussi, ce qui est peut-être pire, à la mentalité des Roumains, qui sont insensibles aux besoins de leurs semblables, cela générant des situations indignes d'un pays européen, ainsi que l'explique une série d'articles sur ce sujet . La principale structure "Nous vainquons l'autisme" est une ONG, et les projets qu'elle déroule sont basés sur des thérapies comportementales. J'ai eu peur de découvrir quelque approche psychanalytique, au nom de ces vieilles relations intellectuelles entre la Roumanie et la France (XVIIIe), mais non.. Il existe des psychanalystes roumains (qui exercent en Roumanie), donc formés probablement en France, mais il existe aussi des psychiatres roumains, hongrois, qui ont choisi d'exercer dans les pays anglo-saxons ou nordiques, en évitant soigneusement la France et sa psychiatrie dynamique (certains au prix de gros efforts passant par l'apprentissage obligatoire d'une langue scandinave..). 
 





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07/09/2013 | Lien permanent

Le bonheur (2)


bonheur,bien-être,émotions,suppression émotions négatives,études,quête,stendhal,morrisonLa recherche actuelle sur le sens et la quête du bonheur montre que nous courons peut-être le risque de saper notre réel bien-être. Plus les gens veulent à tout prix être heureux, moins ils le sont, ou plus ils dépriment. Nous avons tendance à supprimer toute émotion négative, mais si nous supprimons une émotion, il faudrait les supprimer toutes. Notre cerveau fait face à la surcharge émotionnelle en opérant la dissociation (au niveau neurologique, nous "refroidissons" nos réponses émotionnelles), ce qui nous permet de gérer les moments difficiles (comme le ferait un guerrier en terrain hostile). Néanmoins, il faut reconnaître que fonctionner en mode de survie a un coût élevé.. Dans une quête du bonheur, nous rejetons les émotions négatives, et parfois, il nous arrive de nous en vouloir parce que nous nous sentons moins heureux que nous devrions. 

Selon la pensée bouddhiste, la cause de la tristesse se trouve dans la discordance entre l'attente et la réalité. Or, si nous rejetons le réel, avec les si nécessaires émotions d'inquiétude et de mécontentement, nous ne faisons qu'augmenter notre tristesse, en nous efforçant en vain de remplacer le réel par l'agréable. C'est un piège fréquent. Normalement, nous devrions nous sentir heureux, nous essayons de l'être, et nous refusons les émotions qui nous semblent contraires, en supprimant ce qui est inconfortable. A cause de ce favoritisme émotionnel, on a du mal à avancer. Les émotions signalent l'opportunité ou la menace, et c'est grâce à elles que nous trouvons des solutions à nos problèmes. A la même manière dont nous utilisons des données mathématiques pour résoudre des problèmes mathématiques, nous utilisons des données émotionnelles pour résoudre des problèmes émotionnels. En maths, nous n'utilisons pas que les nombres pairs. Si nous rejetons et dévaluons la tristesse, par exemple, nous perdons des données qui pourraient nous aider à trouver un bonheur plus profond et plus durable.

 Une approche récente nous apprend comment utiliser la méditation pour former de nouveaux réseaux dans notre cerveau, et comment accepter ce qui est difficile, au lieu d'y ajouter de la frustration, de l'anxiété, de l'auto-dénigrement (Rick Hanson). 
D'autres études préfèrent le terme "sens" à celui de "bonheur". Ce dernier se réfère aux bénéfices que nous recevons des autres, tandis que le premier serait associé aux bénéfices que d'autres reçoivent de nous. L'idée maîtresse est que le bien-être et le sentiment de plénitude viennent non pas de la quête du bonheur, mais de l'engagement profond dans la vie même. Cette signification est liée au "faire" -faire des choses qui reflètent et expriment notre moi, et en particulier faire des choses positives pour les autres. C'est ainsi que nous pouvons augmenter notre niveau de bien-être (et de bonheur): mener une vie active, rester connecté aux autres, cultiver des relations authentiques, donner du sens à nos actions. D'autres études montrent que l'argent peut acheter le bonheur lorsqu'il est utilisé au bénéficie des autres -générosité, gratitude, compassion, services sont corrélés positivement au bien-être (Martin Seligman). "Donner" plutôt que "recevoir" (Matthieu Ricard, "Pladoyer pour l'altruisme"). Les émotions nous aident à savoir ce qui est important, elles sont indispensables au raisonnement mûr et à l'éthique de notre prise de décision.

En retournant un peu à la littérature, rappelons que "la chasse au bonheur" a été pour l'auteur de "La Chartreuse de Parme" la préoccupation de toute une vie, une sincère et persévérante connaissance de soi.
Et trouvons une réponse contemporaine dans les paroles de Toni Morrison: "Don't settle for happiness, it's not good enough. Of course, you deserve it. But if that's all you have in mind: happiness, I want to suggest to you that personal success devoid of meaningfulness, free of a steady commitment to social justice: that's more than barren life. It's a trivial life. It's looking good, insted of doing good."

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19/11/2013 | Lien permanent

Les thérapies brèves (II) L'approche narrative

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(Photo-Bonne année 2017!)

La thérapie narrative, qui fait partie des thérapies brèves de troisième vague, est une approche ouverte initialement développée par des travailleurs sociaux et des thérapeutes (les co-créateurs de l'approche narrative sont Michael White et David Epston). La thérapie narrative est devenue « pratiques narratives » au fur et à mesure qu’elle investissait de nouveaux champs d’action tels que le coaching en entreprise. Selon Michael White, le travail thérapeutique consiste essentiellement à redévelopper des narrations personnelles et à reconstruire l'identité. Le principe de l’approche narrative est de découvrir quelles sont les histoires qui nous constituent et de dégager celle qui domine et nous retient prisonniers dans un schéma comportemental. Ces histoires donnent du sens à ce que nous vivons. Nous les construisons à partir de nos croyances, qui proviennent de notre culture, famille, éducation, religion, et elles sont déterminantes dans notre comportement face aux difficultés et aux choix que nous faisons.

 

La thérapie narrative tient compte de la réalité culturelle, historique et sociale de chaque personne. La tâche du thérapeute n’est pas de trouver une solution ou de comprendre les systèmes, mais plutôt de poser des questions pour aider les personnes à observer l’influence de certaines histoires culturelles restrictives et à enrichir leur propre histoire de vie. L’important n’est pas de résoudre le problème mais d’identifier ou de modifier les histoires qui maintiennent le problème, et de construire de nouvelles histoires qui créent de nouvelles possibilités de vie. L’approche narrative considère que notre histoire n’est pas un compte-rendu de notre vie, mais à l’inverse, que ce sont nos récits sur notre expérience qui donnent forme à notre vie et à notre identité. L’approche narrative est connue pour ses conversations de « re-storying » (redevenir l’auteur de sa vie, réécrire sa vie). Pour les praticiens narratifs, les histoires consistent en événements reliés en séquences à travers le temps par un thème.

Nous cherchons à donner du sens à nos expériences quotidiennes. Nous créons les récits de nos vies, en reliant des événements entre eux, dans une séquence de temps spécifique, et en trouvant une façon de les expliquer, de leur donner du sens. Cette recherche de sens fournit le thème de l’histoire. Nous n’arrêtons jamais dans la vie de générer du sens. Une histoire, c’est comme un fil qui tisse les événements entre eux pour former un récit. Chacun de nous dispose, pour décrire sa vie et ses relations, de nombreuses histoires qui vivent en parallèle, par exemple, des histoires sur nos aptitudes, nos batailles, nos compétences, nos initiatives, nos désirs, nos relations, notre travail, nos centres d’intérêt, nos victoires, nos réalisations, nos échecs. Nous les avons développées en reliant certaines de nos expériences de vie dans une séquence et en leur attribuant du sens. Notre histoire dominante influence nos actes dans le présent, elle a aussi des répercussions sur nos faits et gestes à venir. Les significations que nous donnons aux événements ne sont pas neutres sur leurs conséquences et sur notre vie, elles fondent et elles façonnent notre vie future. Plusieurs histoires vivent en parallèle, nos vies sont multi-histoires et elles sont inscrites dans un contexte social élargi, lequel influe sur les interprétations et les significations que nous attribuons aux événements.

En approche narrative, on pense en termes d’histoires dominantes et d’histoires alternatives, de thèmes dominants et de thèmes alternatifs. Avec l'aide du thérapeute, les personnes explorent les histoires qu’elles racontent sur leur vie et sur leurs relations, les effets de ces histoires, leurs significations et le contexte dans lequel elles ont été forgées et écrites.

Quelques postulats des pratiques narratives : le problème est le problème (la personne n’est pas le problème) ; les gens sont experts de leur propre vie ; chacun peut redevenir l’auteur de ses histoires de vie ; quand une personne vient voir le spécialiste, elle a déjà tenté des tas de choses pour diminuer l’influence du problème sur sa vie et sur ses relations ; les problèmes évoluent dans des contextes culturels générant des relations de pouvoir fondées sur des considérations de race, de classe sociale, de préférence sexuelle, de genre et de handicap.

 (Références: les sites actuels sur les pratiques narratives

En 2017, CEFRO propose une Activité Erasmus+ autour des techniques et des pratiques narratives. Ce domaine correspond à l’une de nos expertises (sciences humaines/éducation), et à des travaux de recherche antérieurs portant sur le discours narratif et sur la structuration du Sujet en tant que personne (DEA et Doctorat français de littérature). 

CEFRO pourrait apporter du conseil basé sur l’approche narrative aux personnes intéressées (entretiens individuels) et aux entreprises (intervention). 

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04/01/2017 | Lien permanent

Angoisse et défense

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(Photo- à Nice, le 1er avril)

La psychologie (la thérapie) existentielle s’occupe d’un certain type de conflit qui survient lorsque l’individu prend conscience des enjeux ultimes de l’existence : la mort, la liberté, l’isolement fondamental, l’absence de sens. Confrontés à ces questions, nous souffrons tous d’un certain niveau d’angoisse, nous partageons une souffrance commune, propre à la condition humaine, mais certains y sont exposés plus que d’autres. La littérature et la philosophie, qui se penchent depuis des millénaires sur ces grandes questions, peuvent nous aider, la thérapie aussi parfois, dans la mesure où elle repose sur l’empathie et sur une relation de communication authentique. Mais surtout ce qui nous vient de l’extérieur de nous-même et nous permet de sortir de nous-même  -dit Irvin Yalom, psychiatre américain, auteur de Existential Psychotherapy, ouvrage publié en 1980 et traduit récemment en français. Il n’existe que deux manières de se confronter aux enjeux existentiels: l’angoisse (suscitée par la vérité) ou le déni, dilemme bien résumé par Cervantes qui fait dire à Don Quichotte : « Que préférez-vous, la folie du sage ou la sagesse du fou ? ». Le propre de la psychologie/la thérapie existentielle consiste à rejeter ce dilemme : la sagesse ne conduit pas à la folie, ni le déni à la santé mentale. Pour douloureuse qu’elle soit, la confrontation aux fondamentaux de l’existence se révèle être thérapeutique  - explique-t-il dans l’Introduction. A l’ancienne formule (freudienne) : Pulsion > angoisse > mécanisme de défense se substitue l’équation : Conscience des enjeux ultimes > angoisse > mécanisme de défense. (Thérapie existentielle

En se fixant pour cadre le point de vue de la psychologie existentielle, ce livre récent qui traite du harcèlement fusionnel explique pourquoi et comment l’adulte dépendant affectif cherche à dénier ses angoisses par un mécanisme de défense: la fusion avec autrui. Psychologue clinicien, l'auteur a été conduit par ses propres recherches cliniques à identifier les quatre grands comportements de l’adulte fusionnel: immaturité (l’immaturité psycho-affective, la personnalité dépendante), effacement (le refus de grandir, le rejet des caractéristiques de l’adulte), passivité (le refus de s’affirmer, la dévalorisation), dépendance (le refus d’agir, l’évitement de la décision, de l’action, l’auto-sabotage). A la différence du harcèlement moral, selon lequel s’affrontent un harceleur et une ou plusieurs victimes, le harcèlement fusionnel peut être défini comme un ensemble de comportements répétés d’agrippement, d’accaparement et de dépendance par lesquels un adulte force une autre personne à le prendre en charge, ce qui entraîne chez celle-ci une déstabilisation affective et psychologique. En guise de présentation, voici une sélection d’extraits dans ce document

Plus d’informations sur Irvin Yalom et la psychologie /la thérapie existentielle dans cette interview de Psychologies, et sur le site de l’auteur, dont ses interviews.

Comme d'autres grands esprits, et dans une existence assez brève, Spinoza a trouvé du sens à la vie et a marqué l'histoire de la pensée. "Spinoza est un point crucial dans la philosophie moderne. L'alternative est: Spinoza ou pas de philosophie..."(Hegel).

 "Je résolus de chercher s'il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l'âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine." (Spinoza, Traité de la réforme de l'entendement). 

Tout ce que nous faisons doit servir à l'avancement et à l'amélioration, dit Spinoza. L'âme, la raison, la connaissance, les émotions et le corps, tout doit nous amener vers la Joie. "Qui se connaît lui-même et connaît ses affections clairement et distinctement, est joyeux." (La note de CEFRO Emotions et connaissance (2014)

 

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06/04/2018 | Lien permanent

Le goût du réel

 numérique, concentration, déficit attention, livre Goleman, Focus, techniques méditation, personnalité, volontéSur la concentration, ainsi que sur le déficit d'attention avec ou sans hyperactivité (TDA ou TDAH), syndrome de notre époque, il existe maintenant une littérature de spécialité assez riche, et de nombreux articles issus de la recherche en neurosciences, psychologie, management, sont publiés tous les jours, particulièrement dans le monde anglo-saxon. Les techniques de la pleine conscience (Mindfulness Based Cognitive Therapy, Mindfulness Based Stress Reduction) nous apprennent comment nous concentrer sur le moment présent, en évitant de disperser notre attention, et en diminuant le stress. Nous arrêtons ainsi de regretter le passé, ou de nous inquiéter pour le futur, nous cessons de ruminer (ce qui n'est pas méditer), car la rumination peut être un facteur de risque pour la santé mentale. En apprenant ces techniques, nous nous ouvrons au flux de notre conscience, aux autres, à la nature 
D'autres approches proposent une médication pour traiter le déficit d'attention , et Big Pharma est présente avec ses solutions, comme on voit dans cette entrée sur Wikipedia  ( aussi dans une note précédente). 
La manière dont nous concentrons notre attention détermine ce que nous voyons. "Your focus is your reality", dit le Maître Yoda, le personnage de Star Wars, nous rappelle un récent article paru dans Business Insider, en envoyant à l'ouvrage de Daniel Goleman "Focus. The Hidden Driver of Excellence"  et à d'autres contributions intéressantes sur le sujet. Dans ce livre, l'auteur  explore le concept de concentration, en expliquant comment notre attention conditionne nos succès dans la vie, car l'attention fonctionne comme un muscle: mal utilisé, il risque de s'atrophier. Il observe que, depuis que nous vivons dans un monde numérique, notre concentration est partielle. Selon lui, il existe trois formes de concentration: intérieure (l'attention qui nous lie à l'intuition, aux valeurs, aux bonnes décisions), dirigée vers les autres (vers ceux qui font partie de notre vie), extérieure (l'attention qui nous lie au monde en général). Goleman parle de son entretien avec une institutrice qui lui a confirmé qu'au fur et à mesure des générations, les enfants avaient des difficultés à lire, trouvaient les phrases longues et compliquées, se plaignaient de ne pas réussir à se concentrer sur les pages d'un livre, et donc, préféraient aller jouer. Il explique que nous sommes confrontés constamment aux éléments qui distraient notre attention -jeux, réseaux-, mais que la manière dont nous communiquons est aussi un facteur qui influence notre concentration. Tout doit être bref, des abréviations, des messages incomplets, des mails vocaux, pour envoyer l'information le plus rapidement possible. Notre attention est moins efficiente. Nous recevons des messages, mais nous ne les filtrons pas avec suffisamment d'attention, nous les survolons.  
Mieux se concentrer est une question d'entraînement et d'éducation, une question de volonté d'abord, car il faudrait vouloir assimiler l'information respective. La réflexion, cela s'apprend, cela s'éduque afin de réussir à se détacher des éléments qui la perturbent. Néanmoins, "rester sur une information", comme il dit, signifie simplement réfléchir, ce qui est un processus cognitif de traitement de l'information, et qui implique aussi bien un temps individuel, que des éléments de personnalité, comme la volonté, la persévérance, l'autonomie, l'estime de soi. Etre présent, c'est le challenge de notre époque.
 
En 1977, le prix Nobel de l'économie Herbert Simon observe que l'information se nourrit de notre attention, donc une plus grande quantité d'information va provoquer un appauvrissement de notre attention, d'où le besoin de gérer de façon efficiente la surabondance d'information. Selon Goleman, il existe deux sortes de sources de distorsion de l'attention: sensorielle et émotionnelle, mais c'est bien la deuxième qui est plus décourageante. Les personnes ayant une bonne concentration vont mieux affronter les turbulences émotionnelles, seront moins sujettes à l'anxiété, à la dépression, au sentiment d'abandon, aux troubles obsessionnels, de comportement. La capacité à détacher notre attention d'une chose et de la focaliser sur aune autre, est essentielle pour notre bien-être. Lorsque notre attention erre, notre cerveau va activer des circuits qui bavardent sur des choses qui n'ont rien à voir avec ce que nous sommes en train d'apprendre. Sans concentration, nous n'allons pas stocker dans notre mémoire ce que nous apprenons. En 1950, Heidegger avertissait des dangers de la révolution technologique, laquelle pourrait amener à la perte de la "réflexion méditative", et compromettre ainsi un mode de réflexion dans lequel il voyait l'essence de notre humanité. La réflexion profonde exige de la concentration. Plus nous sommes distraits, plus nos réflexions sont inconsistantes, et plus elles sont brèves, plus elles sont superficielles. Si Heidegger vivait aujourd'hui, il serait horrifié qu'on lui demande de tweeter..
(Source: Why Focusing Is So Much Harder Now -Business Insider)
 

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