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01/06/2021

Le rêve -mécanisme et interprétation (I)

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(Photo- Nice, fleurs de cactus)

Le rêve est une activité extraordinaire, à part entière, en rupture avec nos activités de la veille, et qui nous transporte dans un monde régi par des règles autres que celles de la vie de tous les jours. Nous vivons consciemment des aventures que nous oublions le plus souvent dès notre réveil. Cet aspect mystérieux a donné lieu à des interprétations différentes au cours des âges et selon les civilisations, et le rêve a depuis toujours intéressé les philosophes, les écrivains, les scientifiques. Les artistes, peintres, romanciers, poètes et musiciens, ont trouvé dans les songes une source d’inspiration souvent plus esthétique que signifiante. Dans l’Antiquité, les rêves que déchiffraient les prêtres annonçaient le futur, alors qu’au XXe siècle, selon la théorie freudienne, c’est le passé qui les code. Deux contestations de la validité de l’interprétation des rêves sont restés comme des modèles d’attitude critique : celle d’Aristote, qui doutait que les dieux perdaient leur temps à adresser des rêves à de simples mortels, et celle d’Hippocrate, qui voyait dans le rêve la conséquence de mouvements d’humeur internes à l’organisme, probablement causés par une nourriture trop abondante ou mal adaptée. Depuis les Grecs anciens, jusqu'aux théories des neurosciences actuelles, quel chemin ! Néanmoins, le mystère du rêve, en tant que processus, utilité, signification, demeure.


Le sommeil, qui abrite le rêve, est un phénomène complexe encore mal compris. Il ne serait pas l’apanage des mammifères, mais il existerait chez tous les animaux, invertébrés compris. L’état de sommeil, pendant lequel les animaux ne mangent pas, ne se reproduisent pas, et sont vulnérables aux prédateurs, semble une caractéristique peu propice à la sélection, un état qui doit donc répondre à d’autres nécessités, vraisemblablement en lien avec les rythmes circadiens, qui affectent l’ensemble de notre physiologie. Chez les animaux possédant un cerveau, le sommeil modifie le fonctionnement de cet organe. Deux états différents de l’état de veille se succèdent : le sommeil profond et le sommeil paradoxal. L’activité onirique n’est donc pas différente de l’activité de veille ! Cette affirmation remet en cause la compréhension des rêves. La principale différence entre l’activité de veille et le rêve est l’absence d’informations reçues de l’extérieur : en effet, que ce soit pendant le sommeil profond ou le sommeil paradoxal, le cerveau ne reçoit pas cette avalanche d’informations provenant des organes sensoriels qui caractérise la veille. Il est coupé de l’environnement, il est débranché, « off line ». Durant la veille, ce sont ces informations que traite le cerveau dans des processus de perception et de conscience. Mais pendant l’activité onirique, les mêmes aires sont-elles alimentées ? Pour certains chercheurs, des signaux d’origine interne, transmis à partir du bulbe rachidien (le cerveau reptilien), alimentent le cortex qui s’efforce de leur donner un sens. Pour d’autres, c’est le cortex lui-même qui « imagine » ces images, ces idées. Quoi qu’il en soit, ces manifestations indiquent que le cerveau fonctionne « même quand on ne lui demande pas », et il consomme beaucoup d’énergie ! D'après certaines études, le cerveau est responsable de 20 % de nos dépenses énergétiques. Au cours du sommeil lent, la dépense énergétique du cerveau diminue considérablement, mais au cours du sommeil paradoxal, elle augmente au-delà de celle qui est observée pendant la veille.

Le rêve n’est pas propre au sommeil paradoxal, et sa qualité varie beaucoup selon les périodes. L’endormissement, entre veille et sommeil, est propice à des rêves qui empruntent beaucoup aux événements récents qui ont été vécus par le sujet. Dans le sommeil lent, qui suit l’endormissement, les rêves ne laissent que peu de souvenirs. Avec le sommeil paradoxal, apparaissent des rêves plus riches en contenu émotionnel, avec des images ou des paroles. Une nuit ordinaire comporte en moyenne quatre phases de sommeil paradoxal (soit 20 à 25 % du temps de sommeil), dont la longueur augmente dans la deuxième moitié de la nuit. Le sommeil lent devient alors moins profond, et son contenu onirique augmente. Selon les spécialistes, c’est la diminution de la pression de sommeil au cours de la nuit qui permettrait l’expression de rêves plus nombreux.

Il est aujourd'hui possible d’enregistrer avec précision l’activité cérébrale d’un dormeur. Cela permet d’en savoir plus sur les troubles du sommeil, ainsi que sur les rêves ou encore l’apprentissage. Au cours des vingt dernières années, les neuroscientifiques ont affiné leurs connaissances sur les songes. Les expériences ont montré que le rêve se joue sur une longue période du sommeil, et que les songes ont bien une connotation globalement négative, ce qui confirme leur utilité et leur rôle cathartique. Des équipes de recherches ont suivi des patients souffrant de TCSP -trouble comportemental du sommeil paradoxal -, des patients qui jouent leurs rêves en sommeil paradoxal, ce qui a permis d’observer le contenu des rêves. Les scientifiques n’ont accès au rêve que par le biais du récit, ce qui fait que l’étude scientifique des rêves comporte de nombreux biais (la capacité du sujet de se souvenir, l’âge, les capacités visuelles et créatives, l’entraînement). Le scientifique n’a pas accès au phénomène, mais seulement à son simulacre narratif : le récit du rêve. D'autre part, des phénomènes de reconstruction ou de réinterprétation du rêve peuvent se produire au moment où celui-ci est rapporté, le sujet tentant de rendre plus cohérent un souvenir évanescent. En outre, certaines expériences subjectives peuvent être difficiles à décrire verbalement, par exemple les émotions et les scènes complexes, les objets ou les lieux qui n’existent pas dans la réalité. Enfin, certains contenus jugés embarrassants (pensées immorales, contenu sexuel) peuvent être tout simplement  censurés par le sujet qui aurait honte de les rapporter. Or, les patients atteints de TCSP sont privés du « verrou cérébral » qui nous empêche normalement de bouger quand nous rêvons. L’étude de ces patients permet de contourner ces biais, on observe les patients en train de vivre leurs rêves (les patients ont été filmés avec une caméra infrarouge). Cette pathologie qui touche le plus souvent des sujets de 60+ se distingue nettement du somnambulisme, qui concerne des enfants ou des sujets jeunes (-35 ) et survient en début de nuit, pendant le sommeil profond (qui couvre un quart de notre temps de sommeil, et se caractérise par un fort ralentissement de l’activité cérébrale). 

Les travaux d’imagerie fonctionnelle du cerveau ont identifié les régions-clés qui s’activent pendant le sommeil paradoxal. Parmi celles dont l’activité augmente, on retrouve des régions impliquées dans les émotions (amygdale, gyrus cingulaire antérieur) et dans le traitement des informations visuelles (cortex temporo-occipital). L’analyse de l’activité électrique cérébrale permet d’identifier les ondes associées aux différents stades du sommeil. Pendant l’éveil calme, le cerveau émet des ondes de faible amplitude et de fréquence moyenne (8-13 hertz). Quand on s’endort, cette activité cérébrale baisse, les ondes deviennent lentes (4-7 hertz). Durant le stade II du sommeil lent, ces ondes sont entrecoupées de bouffées d’activité électrique appelées « fuseaux » (11-16 hertz) et d’ondes lentes isolées, « complexes k » (0,5-4 hertz). Au cours du stade III, ces ondes lentes sont plus abondantes et leur amplitude augmente : c’est le sommeil profond. Mais durant le sommeil paradoxal, l’activité électrique est ponctuée par des ondes en dents de scie (2 à 6 hertz). Le sommeil lent -ondes lentes – a montré une activité dans des régions essentielles pour consolider la mémoire (régions para-hippocampiques et cortex préfrontal médian) et la modulation de l’état de vigilance (pont).

A quoi sert le sommeil ? Une hypothèse ancienne s’impose aujourd'hui : il consolide la mémoire et les apprentissages, il permet aussi d’oublier certaines informations inutiles, ce qui est nécessaire à la mémoire. Selon une théorie largement admise, les informations seraient transférées pendant le sommeil lent de l’hippocampe vers le cortex, où elles sont stockées à long terme. L’impact du sommeil sur la consolidation des souvenirs fait aujourd'hui consensus dans la communauté des chercheurs en neurosciences. Quant à l’oubli des informations inutiles accumulées dans la journée, celui-ci est indispensable à une forme particulière de mémoire à court terme, la mémoire de travail, celle qui nous permet d’enregistrer et de manipuler des informations sur une courte durée : mémoriser un numéro de téléphone ou une place de parking quelques secondes avant de le noter ou de l’enregistrer. Le temps de sommeil est variable, selon les dormeurs, mais plus il s’éloigne de la moyenne de sept ou huit heures par jour, plus la mortalité est importante, c’est-à-dire en dessous de cinq heures et au-delà de dix heures par nuit. La génétique chez les gros ou les petits dormeurs expliquerait plus de 40% de la variabilité de la durée du sommeil. Les petites nuits favorisent l’obésité - nous avons plus d’appétit, nous mangeons plus gras et plus sucré (association mise en évidence par de nombreuses études).

 Lorsque nous rêvons, nous ressentons des émotions plus fortes que dans la vie réelle, notamment des émotions négatives (la peur, l’anxiété). Ce phénomène aurait une fonction biologique : il nous aiderait à purger nos émotions trop fortes, ce qui est indispensables à notre équilibre psychique. Selon une autre hypothèse, les rêves nous permettraient de simuler des comportements à adopter en situation de danger. La fonction exacte des rêves dans la régulation émotionnelle fait cependant débat. Sur cette question, deux grandes théories sont proposées. La première a été formulée en 2000 par un philosophe et neuroscientifique finlandais, Antti Revonsuo. Selon lui, les rêves nous aideraient à réagir de manière adaptée et efficace aux situations dangereuses dans la vie réelle. Pour élaborer cette théorie, il est parti de l’hypothèse évolutionniste selon laquelle tout mécanisme biologique remplit une fonction pour l’organisme, sans quoi il aurait été éliminé au cours de l’évolution : le rêve ne peut pas être inutile à l’être humain, sinon il aurait disparu. Les émotions négatives ou désagréables sont plus fréquentes dans les rêves que dans la réalité. Par ailleurs, des personnes ayant subi un traumatisme, comme survivre à une guerre, font très fréquemment des cauchemars au cours desquels elles revivent les faits traumatisants. C’est ce qu’on appelle le syndrome de stress post-traumatique. Pour le neuroscientifique, ces éléments suggèrent que le rêve nous permet de simuler ou d’exercer les comportements à adopter face à des situations menaçantes, mais dans un environnement sans danger. D'après d’autres chercheurs, les rêves atténueraient la connotation négative d’événements inquiétants ou traumatisants en les réactivant dans un autre contexte.

Ces théories sont confortées indirectement par les données récentes d’imagerie cérébrale, qui renforcent l’idée d’un lien entre rêves et émotions. Durant l’éveil, deux régions particulières du cerveau s’activent en présence de stimuli effrayants : l’amygdale, située dans les profondeurs du cerveau, et le cortex préfrontal médian, situé à l’avant du cerveau. Or, plusieurs études utilisant des méthodes d’imagerie cérébrale ont montré que ces zones ont également une très forte activité pendant le sommeil. De plus, le cortex préfrontal médian joue un rôle dans l’attribution d’intentons à autrui. On peut donc supposer que lorsqu'il s’active, en même temps que l’amygdale, le rêveur confère des pensées et des émotions aux personnages de ses rêves. Le rêveur mettrait ainsi en place une forme de jeu de rôle qui faciliterait la résolution de conflits interpersonnels, comme dans une pièce de théâtre. Dans certains cas, la réactivation de situations émotionnelles pendant le sommeil peut avoir des conséquences négatives pour le rêveur, au point de nécessiter une thérapie (les cauchemars récurrents). Par exemple, parmi des méthodes cognitivo-comportementales, la technique appelée Imagery Rehearsal Therapy consiste à demander au sujet de se représenter, à l’éveil, le contenu du cauchemar et d’en imaginer une fin heureuse. Une série de travaux sur les rêves de femmes engagées dans une procédure de divorce ont montré que celles qui incorporaient davantage d’éléments du divorce dans leurs rêves présentaient une meilleure adaptation à cette nouvelle situation et souffraient  moins de dépression que les autres. Le contenu des rêves est donc fortement influencé par les expériences de la vie quotidienne et reflète les capacités d’adaptation de l’individu face aux changements de la vie.

 

Références :

Comment les neurosciences recherchent la clé des songes ?

Neurosciences. A quoi servent les rêves ?

La Recherche, Numéro spécial  Le sommeil et les rêves, 2011

 

 

 

 

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