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23/10/2017

Emotions souhaitées et non-souhaitées

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(Photo- Le cadran solaire, Nice)

Une étude publiée dans le journal de American Psychological Association vient contredire l’idée que les gens doivent toujours chercher le plaisir pour être heureux. Les personnes qui ont connu plus d’émotions qu’ils n’auraient souhaitées ont rapporté une satisfaction accrue de la vie et moins de symptômes dépressifs, indépendamment de la nature de ces émotions. Les gens sont vraisemblablement plus heureux ou satisfaits quand ils éprouvent les émotions qu’ils souhaitent, même si ces émotions sont désagréables, comme le seraient la colère et la haine. Le bonheur est beaucoup plus que ressentir le plaisir et éviter la souffrance. Il consiste à faire des expériences précieuses et qui aient du sens, et cela inclut aussi les émotions que nous jugeons appropriées d’avoir dans une situation donnée. Toutes les émotions peuvent être positives dans certains contextes et négatives dans d’autres, peu importe si elles sont agréables ou non. 


Cette étude interculturelle a été menée auprès de 2324 étudiants de huit pays: les Etats-Unis, le Brésil, la Chine, l’Allemagne, le Ghana, Israël, la Pologne et le Singapour. Elle est la première à établir cette corrélation entre le bonheur et les émotions souhaitées et non-souhaitées. Les participants ont en général souhaité avoir éprouvé davantage d’émotions agréables et moins d’émotions désagréables qu’ils n’avaient ressenties au cours de leur vie. Il est intéressant de noter que 11% des participants ont souhaité ressentir moins d’émotions de dépassement de soi, comme l’empathie ou l’amour, que ce qu’ils avaient connu au quotidien, et 10% ont souhaité éprouver davantage d’émotions désagréables, comme la colère ou la haine. Il existe un tout petit écart entre les deux groupes. Par exemple, une personne qui n’éprouve pas de colère à la lecture d’un sujet sur les enfants abusés, pourrait souhaiter ressentir plus de colère qu’elle ne ressent réellement à présent. Une femme qui veut quitter un partenaire violent mais n’a pas la force pour le faire, pourrait être plus heureuse si elle l’aimait moins. Les participants ont été questionnés sur les émotions souhaitées et les émotions non souhaitées dans leur vie. Ils ont évalué aussi leur satisfaction de vie et les symptômes dépressifs. L’étude montre que les participants, quelle que soit leur culture, qui ont éprouvé davantage d’émotions qu’ils n’auraient souhaitées (peu importe si ces émotions souhaitées étaient agréables ou désagréables), ont rapporté une plus grande satisfaction de vie et moins de symptômes dépressifs. Il faudra pousser plus loin la recherche afin de voir si ressentir les émotions souhaitées influence réellement le bonheur ou si cela ne fait que s'y associer tout simplement.  

L’étude a évalué une seule catégorie d’émotions désagréables, connues comme négatives pour l’épanouissement de soi: la haine, l’hostilité, la colère et le mépris. Une future étape pourra évaluer d’autres émotions désagréables, comme la peur, la culpabilité, la tristesse, la honte. Les émotions agréables examinées dans l’étude ont inclus l’empathie, l’amour, la confiance, la passion, le contentement et l’excitation. Cette première étape de la recherche montre que les émotions que les gens souhaitent sont liées à leurs valeurs et normes culturelles, mais ces liens n’ont pas été explicitement examinés. La recherche a le mérite d’avoir éclairci un peu les attentes irréalistes que beaucoup de gens ont de leurs propres sentiments. « Les gens veulent se sentir bien tout le temps dans les cultures occidentales, particulièrement aux Etats-Unis. Même quand ils se sentent bien la plupart du temps, ils pensent toujours qu’ils devraient se sentir encore mieux, ce qui les rend moins heureux finalement. » 

Une autre étude en relation avec ce sujet, publiée dans Psychological Science, le journal de Association for Psychological Science montre que les gens peuvent essayer parfois d’amener une personne à ressentir des émotions négatives s’ils croient que ces émotions pourront être bénéfiques à long terme. Ils peuvent donc chercher à induire des émotions négatives chez d’autres pour des raisons altruistes, et non simplement pour leur propre plaisir ou bénéfice. Autrement dit, « ils peuvent être cruels pour être gentils ». Ce sont des résultats qui élargissent notre connaissance sur les motivations sous-tendant la régulation émotionnelle entre les personnes. Ils apportent un éclairage sur la dynamique sociale, en nous aidant à comprendre, par exemple, pourquoi nous essayons parfois de faire en sorte que ceux que nous aimons se sentent mal, si nous pensons que cette émotion sera utile pour atteindre un but. 

Voici plus loin quelques extraits de l’entretien avec Joseph LeDoux, publiés dans Les Nouveaux Psys,  Editions des Arènes, 2008:

« Presque tout ce que nous faisons d’important engage les systèmes de l’émotion. Même si nous ne sommes pas conscients de ce que nous sommes en train de faire. En fait, la plupart de nos réponses initiales aux choses qui comptent sont inconscientes. C’est après coup que nous devenons conscients de ce que nous éprouvons, et que nous expliquons alors nos émotions sur la base de la situation présente. (…) Les émotions déclenchent le comportement ; ensuite, nous nous racontons une histoire pour expliquer notre comportement, parce que la conscience aime bien avoir une histoire-mythe sur qui nous sommes et pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Ca fait partie d’une sorte de théorie narrative de la conscience. En fait, nous ne pouvons faire autrement qu’engager nos émotions quand quelque chose d’important survient. Le reste du comportement, ce sont des réponses instrumentales ; tout ce que nous faisons d’autre se base sur les émotions initiales éveillées. (…) Le cerveau, la plupart du temps, agit inconsciemment. Nous ne contrôlons pas notre cœur ni notre digestion, bien que cela soit des éléments essentiels de nos réponses corporelles –et qu’il soit important que le cerveau contrôle ces fonctions ! Mais ce contrôle n’est pas conscient. Nous n’avons pas non plus le contrôle conscient de notre posture lorsque nous marchons : nous pouvons la changer, mais normalement nous marchons d’une certaine manière, à un certain rythme, et cela est régulé inconsciemment.(…) Même pour les émotions dites de base, plus ou moins câblées dans le cerveau, il existe une influence culturelle. Il y a ce qu’on appelle des règles de manifestation culturelles. (…) Nous avons donc cette aptitude à réguler socialement nos émotions, même si elles sont pré-câblées. Si, tout à coup, vous croisez un grand danger, il est difficile de réprimer votre réaction initiale; mais vous pouvez très vite modifier votre expression faciale et votre posture, et essayer d’auto-réguler votre émotion, si elle est inappropriée. La régulation sociale et l’autorégulation des émotions sont très importantes, même pour les émotions basiques. Elles sont, jusqu’à un certain point, déterminées culturellement et linguistiquement. »

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