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11/03/2017

La dopamine

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(Photo- Paris, le jardin des Tuileries, le 2 mars 2017)

Le cerveau humain reste une matière encore très mystérieuse, malgré d’énormes progrès enregistrés dans le domaine des neurosciences et des technologies médicales. Aujourd'hui, les chercheurs peuvent observer l’activité du cerveau et de ses 100 milliards de neurones, en phase de réflexion. Le cortex, c’est le siège de la conscience, le système limbique, c’est le siège de nos émotions. Les idées, les projets, les formulations complexes et le sens moral viennent des lobes frontaux, une mince couche de neurones à l’avant du cortex. Certaines parties des lobes temporaux gèrent la mémoire à long terme et disent qui on est. Les lobes pariétaux coordonnent les mouvements et les lobes occipitaux et temporaux analysent ce qu’on voit et ce qu’on entend.

Les chercheurs s’intéressent à certains états hors du commun de la conscience, ou états modifiés de conscience, dans la mesure où ceux-ci ont un lien avec la créativité, la joie, la récompense. On sait que la créativité est une fonction gérée par les réseaux de neurones des lobes frontaux, dont l’activité dépend de la stimulation par la libération de dopamine. Plus la libération de dopamine est importante, plus on devient créatif. Cela s’explique par le fait que les réseaux de neurones des lobes frontaux ont accès à la mémoire à long terme située à l’arrière du cerveau. Cela signifie que des idées, des suppositions qui n’étaient pas connectées auparavant, vont se trouver connectées par cette stimulation, et que des idées qui n’ont jamais été pensées vont être pensées. C’est notre cerveau qui détermine ce pour quoi nous nous passionnons ou non, car il calcule en permanence en termes d’efficacité- si cela vaut la peine de faire un effort. La dopamine agit sur le système qui gère la créativité et sur celui qui gère la personnalité, elle est liée à la récompense, puisque c’est l’espoir d’une récompense qui stimule la libération de dopamine, et ce circuit est essentiel.


Les découvertes sur le cerveau et son fonctionnement expliquent aussi l’origine naturelle des expériences considérées comme surnaturelles. Les expériences transcendantales qui ont jadis été attribuées aux dieux, anges, muses, ou à des cas de possession, aujourd'hui sont démystifiées par les neurosciences. Jamie Wheal, Directeur des programmes à Flow Genome Project observe que chaque culture a ses rituels et ses récits uniques quand il s’agit d’expliquer des états modifiés de conscience, que ce soit la méditation, le flux, les expériences psychédéliques ou autres. Un fermier en Inde, un paysan au Mexique, un codeur à Silicon Valley vont accéder, de différentes façons, aux états  modifiés, et vont en donner des descriptions différentes, une fois revenus de l’autre rive.. Peut-être qu’ils ont eu une vision de Ganesh le Dieu éléphant, ou reçu un message de la Vierge de Guadeloupe, ou réalisé une ligne de code exceptionnelle. Ce sont là pourtant des expériences très ressemblantes.  

Dans leur livre "Stealing Fire", dont on peut lire des extraits ici, Jamie Wheal et Steven Kotler, retracent un cadre fonctionnel dans lequel ils comparent les expériences hors du commun dans les cultures. Wheal explique qu’ils ont pu identifier 4 éléments communs aux états modifiés de conscience: l'altruisme, l'intemporalité, l'absence d’effort, l'intensité (STER: selflesness, timelessness, effortlessness, richness). Les états modifiés de conscience représentent une économie de 1000 milliards de dollars, écrit Steven Kotler, Directeur à Flow Research Collective. Qu’est-ce qui fait marcher l’économie? Quel combustible? Ce n’est pas le commerce, la consommation…, mais quelque chose de beaucoup plus petit et difficile à détecter: la dopamine. Les auteurs ont passé quatre ans à interviewer des pionniers tels Elon Musk, Eric Schmidt, Amy Cuddy, et des institutions comme les équipes de recherche et innovation de Nike, de la Navy SEALs.. Ils ont trouvé que ces gens brillants et ces équipes brillantes connaissaient les états modifiés de conscience (par exemple le flux, décrit comme un état de joie, de créativité et d’engagement total envers la vie) pour éveiller leur inspiration, ou leur habileté. Tout est l’effet de la dopamine. Beaucoup d’entre nous ne sont pas conscients des pics des modifications neurochimiques au cours d’une journée. Kotler rappelle trois moyens pour stimuler la dopamine, et met en question l’éthique de ces habitudes incontrôlées (non-maîtrisées). Par exemple, quand vous prenez un message sur votre mobile, l’incertitude « ou le magique peut-être » concernant le contenu du message va avoir comme résultat une hausse de 400% de dopamine –plus exactement la même quantité que la personne prendrait de la cocaïne. « Nous mettons des drogues hautement addictives entre les mains des adolescents bien qu’ils n’aient de défenses naturelles contre celles-ci ».

Le livre nous explique comment nous pouvons mener des vies plus riches, plus productives, plus satisfaisantes, dans un contexte accéléré par ces quatre forces : la psychologie, la neurobiologie, la technologie et la pharmacologie. En nous proposant un guide de ce qu’il est possible si nous voulons augmenter notre vie, les auteurs n’oublient pas de préciser que le but de celui-ci est purement instructif, et qu’il ne se substitue pas à l’avis des professionnels du domaine médical.

Dans les annexes du livre j'ai retrouvé, comme je m’attendais, les références à Mircea Eliade et aux descriptions classiques des expériences chamaniques. Les auteurs disent avoir remplacé le terme « techniques chamaniques » avec « technologies » correspondant à des dispositifs comme le neuro-feedback, la stimulation magnétique transcrânienne, etc.

Je suis retournée à l’ouvrage Mythes, rêves et mystères, dans lequel l’historien des religions rappelle les capacités extra-sensorielles et les pouvoirs paranormaux attestés chez les magiciens et les chamans dans de nombreux documents ethnographiques. Pour le plaisir, en voici quelques brefs extraits. 

Au niveau des religions archaïques, participer à la condition des « esprits » c’est le prestige par excellence des mystiques et des magiciens. A l’égal des « esprits », les chamans sont « incombustibles », « volent » dans les airs, deviennent invisibles. (…) l’expérience suprême du chaman aboutit à l’extase, à la « transe ». C’est durant son extase que le chaman entreprend, en esprit, de longs et dangereux voyages mystiques jusqu’au plus haut Ciel, pour rencontrer Dieu, ou jusqu’à la Lune, ou descend aux Enfers, etc. En d’autres termes, l’expérience suprême du chaman, l’extase, s’achève au-delà de la sensorialité; c’est une expérience qui ne fait intervenir et n’engage que son « âme » et non pas son être intégral de corps et âme ; l’extase traduit la séparation de « l’âme », c’est-à-dire anticipe l’expérience de la mort. Il n’y a rien là que de très naturel: ayant déjà connu, par son initiation, la mort et la résurrection, le chaman peut impunément emprunter la condition d’un désincarné; il peut exister en tant qu’« âme » sans que la séparation de son corps lui soit fatale. (…) Pour notre propos, l’important est de souligner la parfaite continuité de l’expérience paranormale des primitifs jusque dans les religions les plus évoluées. Pas un seul « miracle » chamanique qui ne soit attesté aussi bien dans les traditions des religions orientales que dans la tradition chrétienne. Ceci est vrai surtout pour les expériences chamaniques par excellence : « le vol magique » et « la maîtrise du feu ».

(…) d’après les mythes, l’Ancêtre ou l’Homme primordial ne connaissait pas la mort, ni la souffrance, ni le travail ; il vivait en paix avec les animaux et accédait sans effort au Ciel pour rencontrer directement le Dieu. Une catastrophe est venue interrompre les communications entre le Ciel et la Terre et c’est d’elle que date la condition actuelle de l’homme définie par la temporalité, la souffrance et la mort. Or, durant sa transe, le chaman s’efforce d’abolir cette condition humaine –c’est-à-dire les conséquences de la « chute » -et de réintégrer la condition de l’homme primordial dont nous parlent les mythes paradisiaques. L’extase réactualise provisoirement l’état initial de l’humanité tout entière.

(…) Les exercices du Hathayoga, et en premier lieu la rythmisation de la respiration (pranayama), affinent l’expérience sensorielle et lui ouvrent des plans inaccessibles au comportement normal : comme s’expriment les textes, les sens sont forcés de « se retirer des objets » (pratyahara) et à se replier sur eux-mêmes; puisque la condition profane est caractérisée par le mouvement, la respiration désordonnée, la dispersion mentale, etc., le yogin s’efforce de la « renverser » en pratiquant justement le contraire: l’immobilité (asana), la rétention du souffle (pranayama), la concentration du flux psycho-mental en un seul point (ekagrata), etc. 

(Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, Editions Gallimard, Paris,1957)

 

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