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20/12/2016

Joyeux Noël!

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(Photo- Noël à Nice)

Les contes de fées, à l’origine et jusqu’au XVII e siècle, étaient destinés plutôt aux adultes qu’aux enfants. De nos jours, ils sont devenus l’objet d’études littéraires et scientifiques, des théories sont élaborées à leur sujet, et des recueils se multiplient dans tous les pays. Ces contes ont donné lieu à de nombreux essais d'interprétation et à des approches psychologiques - en particulier la psychologie des profondeurs de C.G.Jung. Les contes eux-mêmes nous fournissent des renseignements importants sur ce que cherche à manifester l'inconscient collectif et qui n'est pas exprimé dans les représentations collectives conscientes. 

En France, dès 1696 Charles Perrault avait fait paraître une version de La Belle au Bois dormant dans le Mercure galant, avant de joindre ce conte à son recueil littéraire de contes folkloriques, les Contes de ma mère l’Oye parus sous le titre Histoire ou Contes du temps passé, qui ont nourri, au cours des générations, l’imagination des jeunes ou des moins jeunes. Perrault n’a pas inventé ses sujets, il les a empruntés à de vieilles légendes et à des mythes, mais il a su donner à ses récits un style classique, fait de simplicité et de rigueur, en créant ainsi le genre littéraire du conte de fées qui allait connaître un succès croissant. Le thème central de La Belle au Bois dormant remonte à une époque très ancienne et a été largement répandu. Même si un conte émigre et s’adapte dans une certaine mesure au pays où il prend racine, le thème fondamental reste intact, car il exprime un processus commun à tous les êtres humains. Du point de vue de la psychologie des profondeurs, tout rêve est une sorte de conte sorti spontanément de l’inconscient, qui, sous une forme symbolique, nous raconte une histoire chargée de sens. C’est pourquoi l’étude des contes est une excellente préparation à la compréhension de la vie onirique et de ses processus. Des thèmes tels que celui de la recherche et de la délivrance de la princesse, celui de la figure qui disparaît ou meurt pour renaître ou réapparaître se retrouvent tant dans les mythes que dans les contes et dans les légendes, et dans un grand nombre de rêves individuels.

Si nous considérons de plus près ces personnages, nous constatons que ce ne sont pas véritablement des êtres humains : la vie intérieure et subjective de la jeune fille n’est pas mentionnée ; elle naît de façon miraculeuse (ce qui est une idée universelle que l’on rencontre dans les mythes et les contes), elle grandit, s’endort, se réveille et se marie. Elle est un modèle impersonnel.Tous les personnages des contes de fées sont abstraits, ce sont des images de processus archétypiques auxquels manque le contexte humain, la vie individuelle, réelle, concrète. 


En se référant à la dynamique de la relation entre le moi et l’inconscient, Marie-Louise von Franz, la collaboratrice de Jung durant trente ans, écrit dans son livre La femme dans les contes de fées:[la mise en page nous appartient]

« Lorsque l’on observe les processus inconscients chez l’enfant, on voit qu’il existe dans leurs jeux, rêves et fantasmes des dynamismes qui tendent à la formation du moi et sa maturation. On peut dire que le moi naît de l’inconscient et que c’est l’inconscient qui veut l’amélioration du moi ; ce n’est pas le moi de l’enfant qui le veut. L’élan de l’inconscient est à l’origine même du trouble névrotique, en ce qu’il tente de pousser l’enfant vers un niveau de conscience supérieur et à construire un complexe du moi plus solide. L’éducation et les techniques scolaires qui enseignent à l’enfant à se concentrer ou à dominer la fatigue seraient insuffisantes sans cet instinct de l’inconscient et sa poussée évolutive vers la construction du moi. Cet élan est donc un trait humain général, un archétype, qui émane du Soi.(…) Les symboles qui apparaissent dans la première enfance tendent à fortifier la conscience, tandis que dans la seconde partie de la vie, les choses s’inversent, l’accent étant mis alors sur l’écoute de l’inconscient. (…). Le moi peut être considéré comme le centre du champ de la conscience ; enfanté par ce dernier, il doit son existence à une réaction globale du système psychique tout entier, qui est un système autorégulateur. On peut dire que l’impulsion latente à produire le moi est un des aspects du héros mythologique. Celui-ci a des qualités qui ne coïncident pas avec celles du moi réalisé, mais qui relèvent davantage de la totalité archétypique de la psyché. La plupart des difficultés humaines, y compris les dissociations névrotiques ou psychotiques, sont dues à un moi qui ne fonctionne pas en harmonie avec la totalité psychique. Il y a une discordance de quelque nature entre le moi et la structure d’ensemble de la psyché. (…) Le complexe du moi tend tout particulièrement à se dissocier du reste de la psyché et à se comporter de façon autonome, jusqu’à se trouver en opposition avec elle, c’est pourquoi l’une des tâches essentielles de l’espèce humaine est de réussir à ce que s’élabore un moi qui fonctionne de façon saine, c’est-à-dire en accord avec la structure instinctive d’ensemble de l’anthropos. D’une part, nous nous distinguons des autres animaux en ce que nous avons un complexe du moi fort, mais d’autre part notre conscient plus développé nous fait continuellement courir un danger de dissociation.

Les récits mythologiques où le héros ou l’héroïne se conduit de façon spécifique sont une tentative de l’inconscient pour créer un modèle de complexe du moi qui fonctionne de façon adéquate. Le héros représente le complexe du moi idéal, demeurant en harmonie avec les exigences de la psyché. Il est celui qui met fin à la stérilité d’un pays et y rétablit une santé florissante en faisant couler la vie sous des formes bénéfiques. (…) Le héros et l’héroïne nous proposent une sorte d’esquisse de correspondance archétypique entre le moi et le Soi, qui demande à s’accomplir et à se réaliser de façon concrète dans la vie de chaque personne. On pourrait dire que la totalité psychique, ou ce que nous appelons le Soi, est une possibilité virtuelle et latente. Tel un œuf, c’est une masse de possibles qui a besoin de la vie consciente concrète, avec ses tragédies, ses conflits et ses solutions pour prendre vie : comme la Belle au Bois dormant, elle attend d’être éveillée. Le moi est donc l’instrument grâce auquel les potentialités psychiques innées peuvent devenir réalité. (…) En termes mythologiques, le moi est le héros, l’instrument de l’incarnation du Soi. Le héros et l’héroïne des contes de fées illustrent la façon dont de tels instruments d’incarnation devraient fonctionner. Le moi a un nombre infini de fonctions différentes à remplir, et chaque conte souligne l’un de ses aspects, généralement celui qui, à ce moment donné, fait défaut dans la situation collective ou est réclamé par elle. Le Fils de Dieu en est un exemple frappant : la figure divine centrale de notre civilisation est un homme réduit à l’impuissance, abandonné de tous et pendu sur la croix. Il est condamné à la souffrance et à une passivité totale ; or c’est lui que l’homme occidental actif et volontariste est invité à adorer et à prier, c’est sur lui qu’il faut méditer. »

Au bout de cent ans, le Fils du Roi qui régnait alors, et qui était d’une autre famille que celle de la Princesse endormie, étant allé à la chasse de ce côté-là, demanda ce que c’était que des Tours qu’il voyait au-dessus d’un grand bois fort épais ; chacun lui répondit selon qu’il en avait ouï parler. Les uns disaient que c’était un vieux Château où il revenait des Esprits ; les autres que tous les Sorciers de la contrée y faisaient leur sabbat. La plus commune opinion était qu’un Ogre y demeurait, et que là il emportait tous les enfants qu’il pouvait attraper, pour les pouvoir manger à son aise, et sans qu’on le pût suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un passage au travers du bois. Le Prince ne savait qu’en croire, lorsqu’un vieux Paysan prit la parole et lui dit : « Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j’ai ouï dire à mon père qu’il y avait dans ce Château une Princesse, la plus belle du monde ; qu’elle y devait dormir cent ans, et qu’elle serait réveillée par le fils d’un Roi, à qui elle était réservée. » Le jeune Prince, à ce discours, se sentit tout de feu ; il crut sans balancer qu’il mettrait fin à une si belle aventure ; et poussé par l’amour et par la gloire, il résolut de voir sur-le-champ ce qui en était. A peine s’avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s’écartèrent d’elles-mêmes pour le laisser passer : il marche vers le Château qu’il voyait au bout d’une grande avenue et entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l’avait pu suivre, parce que les arbres s’étaient rapprochés dès qu’il avait été passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin : un Prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu’il vit d’abord était capable de le glacer de crainte : c’était un silence affreux, l’image de la mort s’y présentait partout, et ce n’étaient que des corps étendus d’hommes et d’animaux, qui paraissaient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonné et à la face vermeille des Suisses, qu’ils n’étaient pas endormis, et leurs tasses où il y avait encore quelques gouttes de vin montraient assez qu’ils s’étaient endormis en buvant. Il passe une grande cour pavée de marbre, il monte l’escalier, il entre dans la salle des Gardes qui étaient rangés en haie, la carabine sur l’épaule, et ronflant de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes et de Dames, dormants tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus spectacle qu’il eût jamais vu : une Princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin. Il s’approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès d’elle. Alors comme la fin de l’enchantement était venue, la Princesse s’éveilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu’une première vue ne semblait le permettre : « Est-ce vous, mon Prince ? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre. » Le Prince charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance ; il l’assura qu’il l’aimait plus que lui-même.

 

Références

Charles Perrault , Contes, Booking International, Paris, 1993, coll. Classiques Français

Marie-Louise von Franz, La femme dans les contes de fées, Albin Michel, 2002, coll. Espaces libres

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