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12/11/2016

Acceptons nos émotions (II)

émotion, thérapie troisième vague,acceptation, narcissisme, tolérance, auto-compassion, lucidité Le nombrilisme, ou le narcissisme, nous amène à tout prendre très personnellement. « Dans leur ouvrage « The Narcissism Epidemic » (L’épidémie du narcissisme), les chercheurs en psychologie Jean Twenge et W.Keith Campbell soulignent qu’à force d’avoir cherché à augmenter l’estime de soi de nos enfants, nous avons créé une génération de personnalités gonflées d’un sens disproportionné de leur valeur personnelle -la définition clinique du narcissisme-, personnalités fragiles, qui n’ont pas la capacité de prendre soin de leurs relations ». (…) « Les personnes narcissiques ont en moyenne plus d’amis sur Internet, mais cela ne veut pas dire qu’elles valorisent le lien social : elles veulent plus d’amis virtuels, mais pas réels. Le nombre d’amis affichés sur Facebook est un moyen pour le narcissique de montrer sa popularité sans l’investissement émotionnel que nécessite une vraie relation ».

Le nombrilisme est lié à une certaine conception de soi.


Notre « moi narratif » (l’ensemble des mémoires, pensées, émotions, sensations, impulsions que nous avons intégrées, réunies en une image stable de nous-mêmes) a pour conséquence de réduire notre flexibilité et de limiter nos choix. Nous limitons notre vie lorsque nous nous identifions à une expérience, à un titre, à une position sociale, à une situation financière. Or, en nous identifiant moins à une situation, notre raisonnement est moins conditionné par notre histoire et ses limitations, et donc plus objectif. Les études montrent que nous interprétons les informations de notre environnement en fonction de nos croyances (le biais de confirmation). Vivre en fonction de nos croyances peut affecter la perception de notre santé mentale et physique, parce que nos croyances ont des effets sur nos actions, des plus banales aux plus cruciales. Nous avons investi beaucoup de temps et d’énergie dans ces identités (croyances), et une fois une croyance installée, nous avons tendance à la confirmer de manière rigide, qu’elle soit positive ou négative. Plus nous avons investi dans nos croyances, plus elles viennent de loin et sont ancrées en nous, plus nous aurons des difficultés à les remettre en cause, surtout si elles ont été douloureuses. C’est là qu’intervient le processus d’auto-justification, expliqué dans la théorie de la dissonance cognitive, en 1950, par le psychologue américain Leon Festinger. Nous sommes prêts à tout compromis pour diminuer l’inconfort mental que nous ressentons lorsque nous sommes confrontés à des cognitions (pensées, croyances, opinions) inconciliables ou contradictoires (c’est un phénomène typique des groupes sectaires où, plus les membres s’investissent, plus ils ont besoin de défendre leur cohérence). Notre conception de nous-mêmes a un impact sur nos relations sociales. Lorsque notre identité est pensée de manière rigide et réduite, nous devenons réactifs à tout ce qui semble menacer notre image. Plus on s’identifie à quelque chose, que ce soit un objet matériel ou une idée, plus on semble se sentir obligé de défendre cette identité.

La tolérance, à savoir la capacité à supporter et à accepter ce que l’on désapprouve ou ce que l’on trouve désagréable, peut être une alternative à nos comportements d’évitement de nos inconforts intérieurs. On l’appelle aussi « acceptation », en psychologie, et on la définit comme le consentement à rester en contact avec ses expériences intérieures désagréables (émotions, sensations). Ses effets sont bénéfiques pour notre santé mentale, à l’opposé de ceux d’évitement émotionnel. Tolérer ne signifie pas rechercher, cultiver ou apprécier des émotions désagréables, mais simplement les laisser exister, en ne gaspillant pas d’énergie à les combattre, à les fuir ou à les réprimer. Eviter une situation dangereuse nous sauve la vie, éviter la pensée de cette situation nous handicape à vie. Il s’agit d’apprivoiser nos états d’âme difficiles, en supportant ce que l’on désapprouve et ce qui nous fait peur, et cela parce que, tant que nous sommes en réaction par rapport à nos inconforts intérieurs, ceux-ci vont diriger notre vie. Il faut avoir le courage de nous exposer à nos émotions, après les avoir identifiées, d’accepter de les ressentir, de passer du temps avec elles (apprivoiser). Cela nous permettra d’affronter des contextes que nous avions l’habitude de fuir. La tolérance (acceptation) nous mène vers plus de liberté. Quand on est phobique de l’avion, l’important c’est de pouvoir prendre l’avion tout en ressentant de la peur. « Pourquoi voulez-vous exclure de votre vie souffrances, inquiétudes, pesantes mélancolies, dont vous ignorez l’œuvre en vous ? » (Rilke, Lettres à un jeune poète)

Il est évident que nos pensées ont un effet sur nos vies, et qu’elles nous influencent en fonction de l’espace que nous leur accordons. Mais l’idée que nous pouvons et devons changer la nature de nos pensées est à remettre en question. L’objet et les pensées qui s’y relient sont deux choses différentes : «J’ai eu beaucoup de problèmes dans ma vie, dont la plupart ne sont jamais arrivés » (Mark Twain). Lorsque nous confondons nos pensées avec la réalité, nous leur attribuons les mêmes caractéristiques et leur permettons de prendre le pouvoir sur nos vies. Si nous regardons le monde uniquement à travers nos pensées, nous risquons de perdre le contact avec la réalité sensible, et nous nous épuisons à nous battre contre des concepts, des représentations, des croyances. Le détachement de nos pensées signifie faire la différence entre le monde réel et celui de nos pensées. Il faut s’exercer à faire la différence entre le jugement et l’observation. Il faut aussi ne pas avoir une relation conflictuelle avec nos pensées, mais cultiver une curiosité bienveillante envers elles. L’important réside dans nos actes, quelles que soient les pensées qui nous traversent.

La douceur envers soi, ou l’auto-compassion, et ses effets ont été étudiés scientifiquement: la bienveillance envers soi-même, la reconnaissance de son humanité commune, l’accueil de la totalité de ses expériences intérieures sans jugement. La douceur de soi n’implique pas d’autoévaluation, comme l’estime de soi qui implique une autoévaluation favorable. C’est une forme de conscience ouverte qui embrasse tous les aspects de notre expérience, même les plus difficiles. En Occident, on considère la douceur de soi de manière assez péjorative, et on estime que l’autocritique nous maintient dans le droit chemin. Mais les individus animés d’auto-compassion sont moins soucieux de défendre leur ego, ils sont plus centrés sur les similarités avec autrui plutôt que sur les différences, ils acceptent mieux le sentiment de ne pas être à la hauteur, en le vivant avec humilité (modestie). Un grand nombre d’études montrent que la douceur envers soi est associée à de meilleurs indicateurs d’une bonne santé mentale (plus de satisfaction dans la vie, un sentiment d’être connectés aux autres, moins d’autocritiques, de ruminations, d’anxiété, de dépression, de perfectionnisme). Même dans le cas des personnes ayant une mauvaise santé physique, l’auto-compassion aide à conserver un bien-être plus élevé.

L’élargissement de soi est un changement de perspective qui permet de sortir du nombrilisme en prenant mieux en compte les autres, et en évitant l’erreur d’attribution (on réduit ses semblables à certains éléments de leur personnalité, par besoin de prévisibilité et de contrôle). Nous pouvons développer une perspective plus large en adoptant un comportement d’observation. Ce « soi observateur » nous permet d’observer toutes nos expériences, émotions, sensations et pensées.  Il n’est pas le contenu de nos expériences agréables ou désagréables. Quand un incident intervient dans nos vies, nous ne sommes plus menacés de la même manière, du fait que nous ne sommes plus identifiés à nos sensations, émotions, pensées, nous les acceptons beaucoup plus facilement.

La lucidité permet de reconnaître que seul « ce qui est » est réel. Nous agissons avec justesse lorsque nous cessons de ruminer sur ce qui aurait dû être différent, et nous accueillons la réalité du moment. Reconnaître la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle aurait pu être dans nos pensées, c’est de la lucidité. Elle s’oppose à l’idéalisation, qui est un refus de la réalité. La lucidité n’a rien de l’apathie ou de la résignation, mais c’est une attitude qui nous conduit à ne plus chercher à contrôler ce que nous ne pouvons pas contrôler. Elle nous permet de comprendre que le résultat de nos actions ne dépend pas entièrement de nous. Nos valeurs agissent comme une direction mais aucun résultat n’est garanti, alors, mieux vaut apprécier le chemin. « Reconnaître ce qui est marque le premier pas pour agir, aimer, accepter ».

Source: Ilios Kotsou, Eloge de la lucidité, Se libérer des illusions qui empêchent d'être heureux, Editions Robert Laffont, Paris, 2014

 

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