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18/10/2016

Acceptons nos émotions (I)

émotions, thérapie troisième vague, acceptation, engagement, estime de soi, évitement, pensée positive  Eloge de la lucidité est Prix Psychologies-Fnac 2015. La préface est signée par Christophe André, et la Postface par Matthieu Ricard. Son auteur, Ilios Kotsou intervient, en Belgique et aussi en France, sur les thèmes de l’intelligence émotionnelle et de la pleine conscience. Dans cet ouvrage, il se fonde sur la littérature scientifique de ce que l’on appelle en psychologie « les approches de troisième vague » centrées sur l’observation, la reconnaissance, l’exploration et le non-jugement de nos expériences, et plus exactement sur la thérapie de l’acceptation et de l’engagement. Il y est question de la quête du bonheur et de ses pièges, de la différence entre la pensée positive ou magique et la psychologie positive, de la poursuite de l’estime de soi qui peut s’opposer à un moment donné à la tolérance, à l’auto-compassion, à l’élargissement de soi.


L’idéalisation, l’individualisme et la solitude peuvent devenir les conséquences de l’obsession du bonheur, perçu comme un impératif à atteindre : nous devons être heureux et épanouis dans tous les domaines de notre vie. Nous risquons, avec cette obsession, de ne pas évaluer notre existence à l’aune de ce qui nous arrive vraiment, de manière neutre, mais en comparaison de ce que nous devrions ressentir. Le versant positif de la recherche du bonheur est de mettre en avant l’autonomie et la réalisation personnelle, son revers serait de favoriser et d’entretenir l’esprit de compétition et de rendre chacun unique acteur responsable de son bonheur. Cela peut affecter nos liens sociaux, qui sont fondamentaux pour notre équilibre et notre bien-être, l’obsession du bonheur devenant un facteur d’isolement social. Nous vivons dans une société de consommation qui suscite toujours de nouvelles envies, ce qui détourne notre attention de ce qui est essentiel dans nos vies et nous incite à établir constamment des comparaisons.  Il s’ensuit un niveau moindre de satisfaction dans la vie et plus de frustration. L’illusion du contrôle vient s’ajouter aux effets du bonheur idéalisé.

L’un des dangers de la lutte contre l’inconfort est, de point de vue émotionnel, le mécanisme de l’évitement. Il ne s’agit évidemment pas de l’évitement, en tant que mécanisme de survie, mais de l’évitement émotionnel, dont le paradoxe est qu’il fonctionne efficacement à court terme et nous rend dépendants. Il consiste à ne pas accepter de vivre des émotions, sensations ou pensées déplaisantes, et de mettre en place des actions pour essayer de contrôler ou de modifier ces sentiments et les situations qui les génèrent. Mais, comme nous ne pouvons pas échapper à nous-mêmes, et donc contrôler nos expériences intérieures, l’évitement qui nous évite de ressentir une émotion désagréable va paradoxalement augmenter notre mal-être. C’est une spirale. L’évitement émotionnel se caractérise par les tentatives de contrôle de nos sentiments inconfortables, mais il comprend aussi nos tentatives de fuir les situations qui pourraient déclencher ces émotions. Il crée une aversion pour tous les contextes, lieux ou personnes qui pourraient nous mettre mal à l’aise. Ce type de comportement nous demande énormément d’attention et de ressources, beaucoup d’énergie donc. Vouloir repousser tout risque, ou toute forme d’inconfort, revient à refuser de s’engager pour ce qu’il y a d’essentiel et qui donne du sens à notre vie. Eviter à tout prix de ressentir des émotions désagréables, ou éviter d’en parler, peut entraîner des conséquences au niveau interpersonnel. En même temps, notre capacité à vivre des sentiments agréables est affectée. L’évitement émotionnel peut mener à la pathologisation des états d’âme, et donc à leur médicalisation. Or, même les émotions les plus difficiles comme l’anxiété, la tristesse, présentent une utilité pour nous, ne serait-ce que pour leur capacité de nous renseigner, de nous préparer à faire face aux difficultés et à communiquer avec les autres. Il paraît qu’une personne sur dix en Europe a besoin d’une pilule pour affronter la vie. Puisque la souffrance est constituée de la douleur à laquelle s’ajoutent le jugement et le refus de cette douleur, il faudrait apprendre à ne pas transformer nos douleurs en souffrance.

La pensée positive est un mythe, dans le sens qu’elle ne fonctionne pas de manière magique. Des recherches ont mis en évidence  « l’effet rebond » : la tentative de supprimer une pensée conduit à une intensification subséquente de celle-ci. L’idéologie de la pensée positive a comme effet « pervers » de faire reposer toute la responsabilité d’une situation sur l’individu, au détriment des déterminants sociaux et du contexte. La pression du penser positivement risque d’induire de la culpabilité, surtout chez certaines personnes malades. Devenir l’esclave de nos états mentaux, prendre nos pensée de manière littérale et leur accorder une importance démesurée  (« la fusion cognitive ») influencera et modifiera notre perception de la réalité et nos comportements. Il faut faire la distinction entre la pensée positive –un courant qui postule l’effet magique de nos pensées sur nos vies – et la psychologie positive –une discipline scientifique qui étudie les moyens d’améliorer de manière réaliste le bien-être individuel et collectif, en focalisant notre attention davantage sur les ressources que sur les difficultés, sur les points forts plutôt que sur les points faibles. 

L’estime de soi, à savoir le jugement, positif ou négatif, que l’on porte sur soi, est relativement stable et fait partie des traits de personnalité. Dans la culture occidentale, elle est vue comme un gage de réussite personnelle et professionnelle, supposée être une base indispensable pour développer des relations épanouissantes. Les études scientifiques n’ont jamais démontré la croyance très répandue selon laquelle l’estime de soi améliorerait les performances académiques. Dans le monde professionnel, c’est le succès qui augmente l’estime de soi, et non le contraire. L’estime de soi n’est pas capable de prédire la qualité ou la durée des relations (les personnes narcissiques sont attirantes par leur assurance, mais leur égocentrisme ne permet pas de construire une vraie relation). Elle ne prédit pas non plus les comportements antisociaux. On croit qu’une faible estime de soi est à l’origine du comportement agressif ou violent, mais les études n’ont montré aucun lien entre une basse estime de soi et l’agressivité. C’est plutôt l’inverse : les personnes ayant une opinion d’elles-mêmes démesurée (les narcissiques) réagissent violemment quand cette image leur semble menacée. Donc, la combinaison entre la menace (mauvaise évaluation) et le narcissisme mène à des niveaux d’agression particulièrement élevés. Le narcissique qui voit son sentiment d’importance personnelle (démesuré) menacé va devenir agressif, justement parce que la poursuite de l’estime de soi (qui est au coeur du fonctionnement des narcissiques) le rend réactif.

La poursuite de l’estime de soi est essentielle à notre motivation : nous essayons de faire ce qui pourrait nous donner plus de confiance en nous, et nous évitons ce qui risque de mettre cette confiance en péril. Néanmoins, la poursuite de l’estime de soi a un coût. A long terme, elle n’influence pas positivement nos liens sociaux, l’autonomie, l’apprentissage, c’est-à-dire tout ce qui détermine notre bien-être. Elle peut être un facteur de stress et d’anxiété, car elle n’est pas une motivation intrinsèque, comme le plaisir, l’absence de peur de punition ou de récompense, le sentiment d’autonomie, mais elle dépend de conditions extérieures (regard d’autrui, comparaison). La poursuite de l’estime de soi est souvent associée à des comportements perfectionnistes, qui exigent de correspondre à un certain standard. Les perfectionnistes sont enclins à de nombreux problèmes émotionnels, relationnels, et physiques, à cause du stress permanent auquel ils sont exposés. Le lien peut être fait entre la poursuite de l’estime de soi et la manipulation, étant donné l’importance que notre société accorde aux valeurs extrinsèques comme l’apparence, le pouvoir, le statut social. Nous sommes plus fragiles, et donc faciles à manipuler. Des chercheurs qui ont analysé le vécu émotionnel des utilisateurs Facebook ont observé que plus d’un tiers d’entre eux vivaient des émotions négatives, c’est-à-dire des frustrations dues au fait de se comparer et d’envier les amis virtuels. Les utilisateurs passifs (ceux qui ne communiquent pas avec les autres, mais les consultent comme source d’informations) sont plus exposés aux émotions négatives, car l’envie qu’ils ressentent les rend insatisfaits de leur propre vie. La poursuite de l’estime de soi est donc un facteur de vulnérabilité. 

 
Source: Ilios Kotsou, Eloge de la lucidité, Se libérer des illusions qui empêchent d'être heureux, Editions Robert Laffont, Paris, 2014
 

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