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18/09/2014

L'abus émotionnel

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(Photo credit: Claudiu Nedelea. Sharks at Georgia Aquarium)
 
Parmi les multiples formes que peut prendre la manipulation, l'abus émotionnel est, sans doute, la forme la plus insidieuse. Elle est présente dans beaucoup de domaines, dont j'ai choisi trois. Dans la violence conjugale, reconnue comme délit dans certains pays, l'aspect psychologique du contrôle coercitif, qui implique possession et emprise, permet aux relations abusives d'exister et de se développer. C'est la première pierre sur laquelle celles-ci vont se construire. La victime devient plus petite, plus silencieuse, elle change de comportement, elle coupe progressivement ses liens avec des personnes qu'elle fréquentait, elle s'éloigne de ses centres d'intérêt, elle s'isole. Elle se sent comme enfermée dans une boîte qui rétrécit de plus en plus. Bien entendu, la victime peut être une femme ou un homme. Il est difficile de délimiter où commence cette violence, qui peut durer des années, tout simplement parce qu'elle implique trop de variables: peut-on accuser quelqu'un qui veut sortir d'une relation où il se sent malheureux, ou quelqu'un qui a un caractère querelleur? Ensuite, l'abuseur est quelqu'un d'intelligent, qui va tourner la situation en sa faveur, et va se présenter comme une victime. Sans parler de tout ce que la relation a d'inconscient.  
 
Dans certaines religions organisées, les enseignements et les pratiques peuvent provoquer de graves dommages de santé: c'est ce qu'on appelle le Syndrome de traumatologie religieuseLe traitement émotionnel et mental dans les groupes religieux autoritaires peut avoir des effets dommageables, en raison de l'enseignement toxique (la damnation éternelle ou le péché originel), des pratiques ou de l'esprit religieux (punition, pensée en noir et blanc, culpabilité sexuelle), de l'écran de fumée qui empêche la personne d'avoir des informations ou des occasions pour se développer normalement. La peur et l'anxiété, qui découlent du film utilisé par ces groupes pour alerter sur les horreurs du monde ou sur la fin qui approche, vont amener à des troubles cognitifs, à des problèmes de fonctionnement social, à la dépression, à l'impuissance acquise (voir le message des mouvements appelés "charismatiques", dont le nom veut bien dire qu'ils sont basés sur l'émotion induite). Ces groupes fonctionnent comme les sous-cultures: vous avez une appartenance, et si vous la quittez, vous risquez de perdre votre système de soutien en entier. La religion provoque un traumatisme quand elle envahit la personnalité, à savoir quand elle empêche la personne de penser par elle-même, et d'avoir confiance en ses propres sentiments. Toutes les religions ont un segment fondamentaliste.


Le phénomène du storytelling, peu connu en France et absent des formations en marketing et management, est présent ailleurs depuis les années '90 et les NTIC dans presque tous les secteurs: le management, la médecine, la psychologie, le journalisme, la politique. Chaque année, des dizaines de milliers de personnes rejoignent le National Storytelling Network, ou participent à l'un des quelques 200 festivals de storytelling organisés aux Etats-Unis. De nombreux ouvrages sont consacrés à l'art du storytelling, considéré également un chemin vers la spiritualité, une stratégie pour les postulants à des bourses, une modalité pour résoudre les conflits, un plan pour perdre du poids.. Pour résumer: le récit est partout. On a même trouvé cette formule: "impérialisme narratif". Le storytelling  est le résultat d'une approche narrative, qui s'est étendue des sciences humaines aux sciences sociales, aux agences gouvernementales, aux grandes entreprises. L'ouvrage It Was Like a Fever de la sociologue américaine Francesca Polletta explique le phénomène. Le "storytelling management"  est indispensable aux décideurs, qu'ils exercent en économie, en politique, à l'université, en diplomatie, dans  les nouvelles technologies..La question est si l'on peut  en user sans (en) abuser..La propagande était/est une sorte de storytelling. Dans un livre paru en 2007, aux Editions La Découverte, "Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits", l'auteur Christian Salmon a le mérite de présenter ce phénomène au public français. Au chapitre 3, il se réfère au roman Joueurs, de l'écrivain américain Don DeLillo, qui imaginait en 1977 une entreprise baptisée Grief Management Council, et dont l'objet était le management de la douleur. D'après Salmon, ce roman identifiait "l'idéal-type de l'entreprise postindustrielle, flexible et agile, organisée en réseaux et orientée vers la satisfaction de besoins immatériels, culturels ou humains" et aussi "les trois éléments qui vont structurer la rhétorique du nouveau capitalisme à partir des années 1990": le premier élément (son éthos), c'est l'injonction constante au changement, le deuxième (son pathos), c'est le management des émotions et la gestion du moi émotionnel, et le troisième (son logos), c'est le langage, en particulier l'utilisation des histoires dans la gestion du moi émotionnel. Le livre est à lire, malgré son parti pris (je l'ai acheté en 2008, et j'avais noté sur la première page: "En début d'activité CEFRO"). Certains de ses lecteurs ont remarqué, à juste titre, les confusions entre les rôles du storytelling: la transmission de savoirs, qui vise à apporter des connaissances objectives, et la création d'émotions chez l'individu, qui vise à le manipuler. 
 
 

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