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29/05/2014

Lisez Shakespeare..

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"Si vous voulez savoir ce qu'est l'hystéro-neurasthénie, par exemple, ne lisez pas un traité de psychiatrie; lisez Hamlet. Si vous voulez savoir ce qu'est la démence terminale ne lisez pas un traité de psychiatrie; lisez Le Roi Lear " -écrit Fernando Pessoa. Il est incontestable que la littérature reste le meilleur moyen de comprendre les comportements humains, les émotions, les sentiments. Pessoa a entretenu un rapport affectif avec le genre policier, qui est souvent considéré comme un genre paralittéraire, mineur, ou "populaire". Il était persuadé que "l'un des  rares divertissements intellectuels qui restent encore à ce qui demeure d'intellectuel dans l'humanité est la lecture de romans policiers", et pendant des décennies, il a écrit des textes inédits, "un par mois" jusqu'à sa mort. Son personnage, Quaresma, est aussi bien un maître de la déduction qu'un connaisseur du fonctionnement de l'âme humaine. Voici l'explication qu'il donne du suicide vu comme un acte de panique :  


"Le suicide est, essentiellement, un acte antinaturel, car c'est une opposition directe de l'individu au plus fondamental de tous les instincts, qui est celui de la conservation de la vie. Par ailleurs le suicide est contradictoire. Le but de celui qui se suicide est de supprimer quelque chose d'inclus dans sa vie, qui l'effraie ou l'opprime. C'est pour cela qu'il supprime sa propre vie. L'instinct consistant à supprimer une chose qui opprime ou effraie est une pulsion naturelle, qui procède de l'instinct de conservation lui-même, qui rejette naturellement ce qui effraie ou opprime, comme tout ce qui est douloureux et désagréable, parce qu'il diminue cette vie que l'on veut conserver. 
Mais, en voulant supprimer cet effroi ou cette oppression, celui qui veut se suicider s'égare, son instinct est perturbé, il se contredit; et il finit par s'attaquer à cette vie même pour la défense de laquelle il a voulu supprimer l'effroi ou l'oppression. Ainsi le suicide est, clairement, un acte de panique; sa nature s'adapte à la nature de cette forme aiguë, insensée et paradoxale de la peur. La peur est donnée à l'animal pour se défendre du danger, ou en le fuyant, ou en l'affrontant avec violence -la violence née de la peur elle-même. Dans la panique, pourtant, soit l'animal demeure pétrifié et tremblant, si bien qu'il ne peut ni fuir ni se défendre, soit il fuit éperdument -dans n'importe quelle direction, et cela peut être pire que l'origine du danger, vers l'origine du danger, parfois -et ainsi il contredit l'instinct même de fuite, et partant de peur, qui consiste à rechercher la sécurité ou le salut. Chez l'individu humain, la panique peut être motivée par deux choses: par prédisposition naturelle, c'est-à-dire une disposition naturelle à la peur extrême, autrement dit la lâcheté, qui de par sa nature convertit un petit danger ou un petit risque en un motif de panique; ou par l'incidence extrême d'un danger réel, d'un risque véritable, sous l'influence duquel l'individu, quoique normalement courageux -ou même, en fonction du fait extérieur, anormalement -, se réfugie temporairement dans la lâcheté".
 
(Extraits de Fernando Pessoa, "Quaresma, déchiffreur", "L'Affaire Vargas" , édition portugaise 2008, édition française 2010) 

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